Cette production du Comte Ory remporte, en ce soir de première, un franc succès public. Peut-on pour autant parler de réussite ? Sans doute si l’on s’en tient à l’exécution vocale et musicale. Pas vraiment en ce qui concerne la mise en scène.
En effet Frédéric Bélier- Garcia ne semble pas avoir appréhendé Le Comte Ory comme il avait su le faire avec le Don Giovanni saisissant présenté en 2005 dans le même lieu. Alors que son travail scénique épousait étroitement la théâtralité de la musique de Mozart il semble par moments méconnaître celle de Rossini. Par exemple traiter Raimbaud en goujat peu impliqué dans la supercherie initiale et Ragonde en hystérique frustrée donne du relief à ces personnages, mais cette interprétation, qui va au-delà du livret, ne colle pas à la musique, d’une élégance au-dessus de toute vulgarité. On sait, à propos du livret, que Scribe avait fait retirer son nom à cause des interventions selon lui excessives de Rossini. C’est justement un des aspects marquants du génie rossinien que son appréhension d’un comique français jouant tout en finesse des ambiguïtés, que la composition musicale exprime avec le raffinement extrême que lui reconnaissait Berlioz. Dans le spectacle, au premier comme au second acte, cette subtilité est absente ; les traits sont appuyés jusqu’à l’outrance (la scène entre la comtesse Adèle et « sœur Colette ») et le recours aux petites femmes déshabillées, qui ne peut manquer de rappeler un autre metteur en scène, semble destiné à soutenir le contenu musical des scènes. Mais à montrer avec insistance quand la musique se contente de suggérer et même quand elle ne suggère pas (le passage des nus durant la chanson bachique) on rince l’œil au lieu de titiller l’imagination, on confond l’érotique avec le grivois, et une œuvre scintillante devient polissonne. C’est déplacé et décevant.
C’est d’autant plus regrettable que le spectacle a des atouts, dont les séduisants costumes à la mode médiévale signés Catherine Leterrier. Le tableau du premier acte est très plaisant, avec sa terrasse de pelouse, ses arbres symétriques et l’ingénieux décor de paysage en fond de scène susceptible de se transformer en château avec chemin de ronde. L’ensemble n’est pas sans évoquer les miniatures du Livre des Riches Heures du duc de Berry. Jacques Gabel et Claire Sternberg sont moins inspirés au deuxième acte, avec l’étuve collective (premier prétexte aux nudités) qui deviendra l’espace où sont rassemblées les « pèlerines », au fond duquel un rideau s’entrouvre sur de rouges lueurs conçues par Roberto Venturi pour signaler le caractère diabolique de l’entreprise du comte. A propos des lumières, leur réglage était-il terminé ? Les projecteurs semblaient parfois errer.
Pas de réserve en revanche sur la distribution. Le Gouverneur campé par Nicolas Courjal bénéficie de graves profonds et étoffés. Jean-François Lapointe est sans reproche en Raimbaud ; son récit de la conquête de la cave a une verve convenable. Marie-Ange Todorovitch, naguère encore Isolier, nourrit sa Ragonde pleine d’appétits de sa présence et de son tempérament bien connus. C’est Stéphanie d’Oustrac qui lui succède dans le rôle du jeune page qui trompe le trompeur ; la voix est souple, étendue à souhait et l’engagement scénique, la musicalité et le goût rendent l’incarnation délicieuse. Annick Massis a chanté sa première Comtesse Adèle il y a longtemps; on l’a rarement vue aussi désinvolte, voire piquante, et l’exécution vocale n’a rien perdu ni de sa sûreté ni de son brillant. Marc Laho était déjà son comte Ory à Glyndebourne, au siècle dernier ; pour lui non plus le temps n’a pas marqué la voix, qu’il fait parfois un peu grosse sans réelle nécessité, si l’on songe qu’à ce personnage qui se la joue mâle irrésistible Rossini a donné pour air d’entrée celui dévolu à Madame Cortese dans Il viaggio a Reims. Aux côtés des solistes les chœurs honorent leur fonction de manière très satisfaisante.
Roberto Rizzi-Brignoli obtient-il de l’orchestre tout ce qu’il voudrait ? On aurait souhaité entendre toute la soirée ce que l’on entend après l’entracte, une sonorité sensuelle alliée à une alacrité sans précipitation, une détermination martiale où l’ironie affleure, une séduction qui s’impose et semble aller de soi, de part et d’autre de l’épisode de l’orage, ici conduit et exécuté avec une transparence et une intensité des plus délectables. Peut-être les prochaines exécutions seront-elles entièrement de ce niveau. On le voudrait, pour la satisfaction d’un chef que l’on admire, pour le plaisir des auditeurs et pour rendre justice à Rossini.
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