Tout droit venue de la Fenice de Venise, cette production réglée par Pier Luigi Pizzi permet à l’opéra de Rome d’inscrire Maometto II à son répertoire. Félicitons nous tout d’abord que pour la première fois depuis le début de la saison, en novembre dernier, les représentations n’aient pas fait l’objet au préalable d’un nouveau psychodrame comparable à ceux qui ont failli faire sombrer successivement Ernani, puis le diptyque ravélien et jusqu’à la Manon Lescaut d’Anna Netrebko, poussant le maestro Muti, directeur honoraire à vie de la maison, au bord du claquage de porte.
Si tout le monde est finalement bien là, dans la fosse et sur scène, pour cette représentation dominicale, il n’en est malheureusement pas allé de même dans la salle, pleine aux deux-tiers. C’est à peine mieux que pour Ravel en février, mais guère plus encourageant. Le public romain ne répondrait-il présent qu’avec Muti ou les stars alla Netrebko ?
On ne peut que regretter dans ces conditions que le spectacle n’ait pas totalement récompensé l’assiduité des fidèles.
Dans un décor sépulcral, au milieu de ruines formant un tas de briques fort malcommode pour les artistes qui éprouvent les plus grandes difficultés à y monter ou en descendre, on croit d’abord vraiment qu’un naufrage se prépare. Le chœur d’introduction, d’emblée incertain, fait place au Paolo Erisso du ténor Giulio Pelligra, gauche et timoré qui, s’il montre vite que les aigus ne lui posent guère de problèmes, est trahi également aussitôt par de sérieuses insuffisances dans le registre bas, terriblement instable. Sans ressort, avec une projection tout juste suffisante, il n’a, malgré un léger mieux après l’entracte, pas réussi à faire croire à son personnage ni à s’imposer.
Le même phénomène touche d’ailleurs la plupart des autres interprètes lors du premier acte. Mis à part de corrects Condulmiero (Enrico Iviglia) et Selimo (Giorgio Trucco), la belle voix de contralto de la jeune Teresa Iervolino, remplaçant Alisa Kolosova, laisse d’abord totalement indifférent d’autant qu’elle compose un Calbo très en retrait, malhabile. L’Anna de Carmela Remigio déçoit dès son entrée tant il faut tendre l’oreille. La voix est pourtant bien posée, nuancée et même relativement à l’aise avec les redoutables ornements rossiniens, mais elle paraît alors si fragile, comme prête à s’éteindre. La très belle prière « Giusto ciel », pleine de grâce et d’émotion, nous rassure heureusement aussi bien sur la soprano que sur un chœur féminin remarquable.
Malgré un orchestre tout en verve et en nerfs et quelques moments très réussis, l’ennui finit donc par guetter irrémédiablement une salle particulièrement froide durant presque tout le premier acte. Mais tout le monde se réveille à l’apparition du Maometto de Mirco Palazzi, remplaçant ce 6 avril Roberto Tagliavini. Certes, s’il en est encore loin à bien des égards, il est difficile de ne pas penser à Samuel Ramey, grand titulaire de ce même rôle, en le voyant et en l’écoutant, aussi bien dans ses intonations que dans son attitude. Le violent effort physique que lui inflige la redoutable partition du cygne de Pesaro, très visible aux tremblements de tout son buste, est impressionnant, et malgré une émission limitée, le jeune artiste, très crédible, tient ses promesses jusqu’au bout, sans se ménager ni faiblir.
Comme au milieu de la bataille qui constitue le fil rouge de l’œuvre, la trêve de l’entracte nous laisse donc dans l’ensemble perplexe sur l’issue du combat.
Bonne surprise, le second acte sauve ce qui finalement peut l’être. Guère le ténor hélas, qui gardera jusqu’au bout les problèmes décrits plus haut. Mais Teresa Iervolino révèle soudain dans son air « ah non temer, d’un basso affetto » ce dont elle est vraiment capable, se jouant des ornements rossiniens avec des effets moirés saisissants. Carmela Remigio n’est pas en reste. Plus incisive, plus assurée, la voix mieux projetée, elle qui ne quitte pratiquement pas la scène de tout l’acte rend enfin justice à son personnage, jusqu’à un finale, dans sa version originale tragique, très réussi.
Très sollicité, le chœur – après une introduction un peu chancelante – se montre aussi bien préparé et impressionnant que d’ordinaire. A la tête d’un orchestre soudé et vif, Roberto Abbado n’hésite pas à donner à la musique de Rossini le coup de fouet qui la rend irrésistible, sans lourdeur excessive, ni brusquerie, tirant sans complexe la partition vers Bellini voire même, dans les passages plus solennels ou martiaux, vers le jeune Verdi.
A ce spectacle globalement mitigé mais dont la seconde partie emporte le morceau, il n’aura manqué qu’une véritable mise en scène. Tout au plus voyons nous une mise en espace avec décors, les ruines fantomatiques d’une petite église élégante et les murets – voire les tas – de briques grises en constituant le cadre unique, morne et omniprésent. Les poses plus que conventionnelles voire caricaturales dans le cas de Carmela Remigio qui en fait des tonnes dans le pathos, n’aident pas à déceler une quelconque modernité dans ce spectacle. Les scènes d’ensemble, à la gestuelle parfois soignée et même cinématographique dans certains effets, avec notamment de beaux ralentis lors des combats, ne suffiront pas à le démentir mais permettront au moins de ne pas juger l’ensemble trop statique. Dommage pour un artiste de la trempe de Pier Luigi Pizzi.