Si Le Coq d’or est une fable, on serait bien en peine de dire quelle en est la morale. Et l’on n’y sera pas forcément aidé par la production de Laurent Pelly, présentée à Nancy après avoir été créée à Bruxelles sous chapiteau pendant les travaux de La Monnaie. L’Astrologue, présent aux deux bouts de l’œuvre dont il semble détenir la clef, est ici inquiétant à souhait, éclatant d’un rire maléfique à la toute fin, mais quel est son rôle ? Que pourrait bien signifier « astrologuer », si l’on nous permet ce néologisme inspiré par le « Chi vuol farsi astrologar ? » des gitanes du Turc en Italie ? Laurent Pelly a choisi de nous montrer un conte dont à peu près tous les personnages sont stupides ou méchants, mais c’est hélas un peu aux dépens de leur possible humanité. Son spectacle ne manque pas d’idées, mais peut-être d’une étincelle pour le transfigurer, et l’on reste extérieur à ce qui se déroule sur scène. Dans cette Russie mythique au sol de caillasse noire qui souille les vêtements des dirigeants et les visages du peuple, parmi ces boyards lourdauds et ces moujiks soumis, la reine de Chemakha fait figure d’extra-terrestre, avec sa tente en forme de structure constructiviste et son allure sortie d’un film de science-fiction comme le fameux Aelita de Protozanov (1924). Après le camaïeu de gris de Béatrice et Bénédict à Glyndebourne, Laurent Pelly traverse décidément une période noir et blanc en tant que costumier. Par son ouverture, le décor de Barbara de Limburg ne va pas sans poser quelques problèmes de projection du son, tout comme le choix de reléguer en coulisses la soprano qui chante les interventions du Coq, celui-ci étant interprété en scène par une danseuse.
© Opéra national de Lorraine
Sur le plan musical, la distribution nancéenne, entièrement venue d’Europe de l’est, n’inclut aucun des artistes réunis à Bruxelles (et le cast prévu à Madrid, troisième coproducteur du spectacle, sera encore bien différent). Vladimir Samsonov est un Dodon un peu monochrome : la voix est solide, mais l’aigu très couvert, et l’on aurait aimé un tsar fainéant un peu plus expressif, comme pouvait l’être Boris Statsenko à Düsseldorf. Bien connu du public français, Mischa Schelomianski possède des moyens conséquents dont le rôle du général Polkan ne lui permet pas toujours de faire montre. Ces deux crétins que sont les fils du tsar trouvent en Roman Shulakof et Jarosław Kitala des interprètes qui jouent parfaitement le jeu. C’est malgré tout l’Astrologue de Yaroslav Abaimov qui produit la plus forte impression, par sa maîtrise du suraigu, en particulier au dernier acte, lorsqu’il exige du tsar la récompense promise, avec la même insistance que Salomé devant Hérode.
Parmi les dames, Marina Pinchuk est une Amelfa sonore, et Inna Jeskova un Coq un peu privé d’impact par sa relégation hors de la scène. La mise en scène fait de Svetlana Moskalenko une reine de Chemakha plus agressive que séductrice : après un air d’entrée où la voix ne paraît pas toujours suffisamment disciplinée pour se plier à la colorature, l’interprète canalise mieux son énergie, mais le personnage reste bien froid.
A la tête de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, Rani Calderon rejoint les options de la mise en scène : direction précise mais un peu sèche, malgré la réussite d’une ouverture pleine de mystère où les échos de Shéhérazade ou du chant hindou de Sadko surgissent des brumes du champ de bataille.