Pour le festival annuel de l’Opéra de Lyon, Serge Dorny a eu cette année l’étrange idée de ressusciter, sous l’appellation « Mémoires », trois productions germaniques âgées de quinze à trente ans. Viendront bientôt l’Elektra de Ruth Berghaus et le Tristan de Heiner Müller, mais les festivités s’ouvrent avec le Couronnement de Poppée monté en 1999 à Aix-en-Provence par Klaus Michael Grüber. Cet illustre homme de théâtre allemand étant décédé en 2008, c’est à sa dramaturge, Ellen Hammer, qu’a été confié le soin de remonter le spectacle avec une fidélité quasi-totale. Gilles Aillaud ayant lui aussi rejoint le monde des défunts, Bernard Michel a recréé les décors à l’identique. Cette production ayant été filmée lors de sa reprise en 2000 et commercialisée en DVD par Bel Air Classiques, il serait facile de se livrer au petit jeu de la comparaison. Même si le mistral aixois ne soulève plus le rideau dans la cour de l’Archevêché, même si l’on n’entend pas les cigales dans le cadre somptueux de l’Opéra de Vichy, on retrouve bien ici tout ce qui faisait la séduction de ce monde romain fantasmé, les citronniers du jardin de Sénèque ou le palais d’Octavie au rouge plus pompéien que Pompéi. On retrouve aussi ces personnages délibérément laissés énigmatiques, ce Néron animé de rictus, cette Poppée opaque qui danse son rôle plus qu’elle ne le joue. Il y a dix-huit ans, la critique avait souligné le caractère enfantin attribué aux protagonistes, et leur jeunesse est encore ravivée par celle, bien réelle, des artistes réunis cette fois, puisqu’il s’agit des membres du Studio de l’Opéra de Lyon, encadrés par celui qui était Arnalta à Aix, Jean-Paul Fouchécourt. Si l’on peut donc comparer le spectacle à son ancêtre, il faut évidemment oublier tout rapprochement avec les artistes confirmés qui y brillèrent en 2000 et 2001 : personne n’a ici pour objectif d’égaler les Mireille Delunsch, Anne Sophie von Otter, Lorraine Hunt ou Sylvie Brunet de la distribution initiale.
© Jean-Louis Fernandez
Parmi ces jeunes artistes venus des quatre coins de la planète, on soulignera l’excellente impression produite par Poppée et Néron, Josefine Göhmann et Laura Zigmantaite, même si la différence n’est peut-être pas assez nette entre ces deux voix, le mezzo-soprano de la seconde étant tellement clair qu’il ne se distingue guère du soprano de la première. Elli Vallinoja compose une belle Octavie, même si l’on aimerait parfois des couleurs plus sombres pour ce personnage tourmenté. Le timbre féminin le plus grave est ici celui d’Aline Kostrewa, Othon androgyne à souhait mais dont la voix manque hélas un peu de puissance. Pawel Kolodziej est un Sénèque plein de bonhomie, et André Gass assure avec aplomb la succession de Jean-Paul Fouchécourt, auquel il ne ressemble pourtant ni physiquement ni vocalement. Emilie Rose Bry se contente ce soir-là de Drusilla mais chantera aussi, un soir sur deux, cette Poppée qu’elle était déjà pour Jean-Christophe Spinosi en novembre dernier. Tous les rôles secondaires sont très dignement tenus.
La déception vient en fait de la direction de Sébastien d’Hérin, qui semble refuser les contrastes qu’appellent pourtant la partition et le livret. L’ensemble baigne dans une sonorité certes non dénuée de sensualité, mais là où les chanteurs n’hésitent pas à s’investir dans leurs interventions, les instrumentistes sont comme piégés par une certaine retenue de bon ton qui prive un peu l’œuvre de sa dimension théâtrale.