Un récital inaugural au diapason d’une restauration. Au moins en terme de chronologie ! C’était samedi 21 septembre dans la délicieuse bonbonnière de l’Opéra-théâtre de Clermont-Ferrand qui avait retrouvé tout son lustre de 1894 après une complète rénovation. Si le talent des équipes de restauration a pu inventer la machine à remonter le temps, l’exercice de style s’est avéré un rien moins performant sur scène. Les morceaux choisis de Meyerbeer, Massenet, Gounod et Mendelssohn avaient déjà salué il y a quelque cent-vingt ans l’ouverture du « petit Garnier » auvergnat. La prestation d’Inva Mula, l’héroïne de la soirée, repose l’éternelle question sur l’appréciation des voix. Doit-on les juger à l’aune de leur personnalité intrinsèque en dehors de toute exigence de répertoire ? Rien n’interdisait en effet à la soprano albanaise de se réapproprier Meyerbeer. Mais le choix d’extravertir le mélancolique « Ô beau pays » des Huguenots n’était sans doute pas l’option la plus judicieuse. Ou alors eût-il fallu faire montre d’une diction irréprochable qui aurait rendu le texte intelligible. Et quand bien même on ferait abstraction de ce dernier paramètre, cela ne peut se concevoir sans qu’une émotion sans restriction vienne pallier cet inquiétant défaut de maîtrise de la prononciation. Et Inva Mula abordait là un répertoire particulièrement sensible à la scansion. Le registre de colorature dramatique n’était pas le plus ad hoc pour cet air précisément quand on pouvait s’attendre à un chant plus sensible. Or l’interprète fait avant tout étalage de puissance et d’éclat. Forcer l’émission brutalise le timbre et les filati dans l’aigu parfois s’en ressentent.
Massenet se montre plus propice à son sens incontestable des dynamiques. Mais la soprano semble davantage engagée dans une opération de séduction auprès du public que soucieuse de ménager son instrument. Privilégiant le panache au détriment de l’intimisme, elle a tendance à aller au bout de ses réserves d’énergie et ce faisant, compromet l’équilibre de sa palette de nuances et de couleurs. C’est cependant avec une égale conviction qu’elle aborde Thaïs de Massenet et son « Dis-moi que je suis belle », avec, par rapport à l’air précédent, un ton et un profil vocal plus adapté et un sens de la tension dramatique mieux assumée, et cette fois sans durcir l’aigu. Tout aussi convaincant et sincère dans l’éloquence et l’émotion, son « Il ne revient pas » du Faust de Gounod bénéficie d’une diction plus soignée. On peut facilement comprendre dans un tel contexte que son Air des bijoux laisse dubitatif. Les réserves ne viennent pas tant de ses efforts pour échapper à une palette expressive relativement monochrome que de son incapacité à incarner la grâce et la séduction de Marguerite. Il lui manque cette légèreté de ton, cette insouciance dans l’affect qui font de cet air l’un des plus redoutables du répertoire.
Assez de réserves au bilan pour nous faire regretter Anna Kasyan. La Révélation lyrique de l’Adami en 2006 et des Victoires de la Musique en 2010 intervenait seulement en duo avec Inva Mula dans le Chant avec Chœur du Songe d’une Nuit d’été de Mendelssohn. Prestation brève mais suffisante pour apprécier la limpidité de son timbre. Le Chœur de femmes du Chœur régionale d’Auvergne soulève avec empathie en évitant toute surcharge, la respiration mendelssohnienne faite à la fois de transparence et de hiératisme.
Pourtant peu familières de ce type du répertoire (hormis Mendelssohn), les cordes de l’Orchestre d’Auvergne nettes et vives dans les attaques font montre d’une fluidité jamais démentie sous la baguette de leur chef Roberto Florès Veses. La ligne musicale tout en étant d’une fermeté sans concession reste ductile dans les contrastes jusqu’à s’apparenter à une pulsation naturelle. Florès Veses ne se contente pas de maîtriser transitions et enchaînements avec une rondeur et une finesse incomparable des phrasés. Il sait communiquer aux pupitres ses convictions sans inutiles emportements et ceux-ci le lui rendent au superlatif en sonorités franches et lumineuses.