L’affiche du Don Giovanni programmé par le Festival de Verbier en avait fait l’événement de cette 16e session. Pourtant, deux jours avant le concert, les annulations pleuvent. Edita Gruberova, Matthew Polenzani et Susan Graham se font porter pâles. Heureusement, le carnet d’adresse du directeur du Festival est suffisamment fourni pour lui permettre de remplacer tout ce monde par d’autres grands noms. Annna Samuil, Michael Schade et Annette Dasch viennent donc prêter main forte à leurs prestigieux camarades. La soirée promet d’être exceptionnelle même si les défections ont poussé certains à rendre leur place. Mal leur en prit.
La salle Médran ne disposant pas de fosse, c’est donc sur scène que se place l’orchestre. Pas de décor ni de costumes, mais une mise en espace de l’actrice bâloise Marthe Keller, qui n’en est pas à son coup d’essai en matière d’opéra. Elle signe une représentation des plus réussie, utilisant tout l’espace disponible devant et derrière l’orchestre, à l’entrée des coulisses et aux premiers rangs du public permettant à Don Giovanni d’aller humer l’écharpe d’une malheureuse spectatrice. Le tout est d’une drôlerie, d’une fluidité et d’une subtilité comme on en voit rarement sur les scènes d’opéra. Une mise en espace à l’image de Marthe Keller : intelligente et distinguée.
Côté vocal, l’affiche tient toutes ses promesses et ne tourne pas à l’affrontement d’ego que l’on pouvait légitimement craindre. Bryn Terfel est un Don Giovanni d’une présence scénique incroyable. Malgré son imposante stature, il se déplace avec l’agilité d’un chat à l’affût de sa proie. Inutile de dire que la voix est proportionnelle au charisme du gallois… Avec ce concert, Terfel chante son dernier rôle de Don Juan, lui préférant à l’avenir Leporello. L’impression d’avoir assisté à un petit moment historique n’en est que plus forte. Le Leporello de la soirée n’est autre que René Pape qui joue sur tous les registres du personnage, n’hésitant pas à chuchoter ou chanter la bouche pleine…Quant à Thomas Quasthoff, il triomphe dans le rôle du Commandeur qu’il chante pour la première fois. Robert Gleadow est un Masetto fringuant et prometteur tandis que Michael Schade chante un Don Ottavio aux nuances fascinantes.
En ce qui concerne la partie féminine de la distribution, notre coup de cœur va à la jeune Anna Schwartz qui incarne une Zerlina à croquer. Les Donna Anna et Elvira d’Anna Samuil et d’Annette Dasch exercent un pouvoir de séduction vocal incomparable. Une plateau de grands chanteurs qui se déplacent avec aisance dans leurs rôles respectifs. Du pur plaisir.
Le neuvième personnage est l’orchestre du Festival qui, par la place qu’il occupe sur scène, ne commente pas l’action mais y prend part. La direction de Manfred Honeck donne beaucoup de relief à cette musique même si on peut penser que le chef n’exploite pas toujours suffisamment la tendresse de certaines scènes.
La longue standing ovation qui conclut le concert et les acclamations du public pour chaque chanteur montrent à quel point l’assistance est comblée. A juste titre.