Un mois après sa création sur la scène de l’Opéra de Liège, la nouvelle co-production du Domino noir signée Valérie Lesort et Christian Hecq arrive chez elle à l’Opéra Comique, où l’œuvre a été créée en 1837. Et le fait que l’on partage l’enthousiasme de Christophe Rizoud sur ce spectacle ne constitue pas vraiment une surprise, dans la mesure où tous les ingrédients de la réussite de Liège sont repris ce soir, avec pour seule différence l’Orchestre Philharmonique de Radio France et le chœur Accentus en lieu et place de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège.
La vivacité de la direction notée à Liège ne souffre pas de ce changement et l’on sent chez les musiciens du Philharmonique un plaisir communicatif à jouer cette musique « légère ». Patrick Davin parvient même, avec finesse, à donner vie à l’ouverture qui sonne souvent lourde et martiale. La partition, admirée par Berlioz, sait varier les atmosphères et charme par son caractère dansant : la musique pétille, de boléro en chanson aragonaise, au service du livret de Scribe, efficace et resserré.
La production de Valérie Lesort et Christian Hecq participe à l’impression d’effervescence, dans des décors imposants de Laurent Peduzzi, une horloge géante (copie de celle d’Orsay) qui laisse voir en transparence la salle de bal au premier acte ou un couvent blanc dont les sculptures s’animent tout à tour. Vanessa Sannino s’en est, elle, visiblement donné à cœur joie avec des costumes de bal masqué, inspirés d’animaux plus loufoques les uns que les autres. La mise en scène elle-même ne manque pas d’idées et n’hésite pas à parfois s’approprier l’œuvre pour mieux la servir, telle cette musique electro introduite en lieu et place de l’orchestre de scène au bal masqué. C’est vivant, efficace et parfois même franchement hilarant : on retient en particulier le cochon animé du banquet chez Juliano (les marionnettes sont l’œuvre de Valérie Lesort et de Carole Allemand) au second acte, particulièrement cocasse. Il viendra d’ailleurs, comme de juste, saluer au rideau.
Brigitte de San Lucar (Antoinette Dennefeld), Comte Juliano (François Rougier) © Vincent Pontet
Les interprètes se plient avec talent et enthousiasme à l’exercice du théâtre parlé (très présent notamment au premier acte) qui alterne (comme le veut le genre de l’opéra comique) avec le chant. La diction des protagonistes est un régal de naturel et d’intelligibilité, y compris le chœur Accentus d’une grande précision en plus d’une belle musicalité.
Anne-Catherine Gillet s’octroie la part du lion dans la partition, dans le rôle omniprésent d’Angèle, taillé par Auber aux côtes de Mademoiselle Cinti-Damoreau (créatrice entre autres de la Comtesse Adèle dans Le Comte Ory). Quel abattage scénique, quel charme ! On la sent jubiler à contrefaire son apparence et sa voix (notamment en abbesse chenue) pour dérouter le pauvre Horace. Un charme dont la fraicheur du timbre, intacte, conjuguée à des aigus épanouis et à une agilité sans faille ne sont certes pas étrangers. Son Horace, lunaire et désemparé, a les attraits de Cyrille Dubois, ténor léger, qui enchante tant par son élégance que par son émission haute et délicate.
Les autres chanteurs ont moins de matière à se mettre sous la dent. Antoinette Dennenfeld (Brigitte, compagne et confidente d’Angèle) n’en brille pas moins dans les ensembles du premier acte et dans son air au dernier acte, grâce à son mezzo chaleureux et sonore. Marie Lenormand fait, elle, par sa gouaille, son beurre de la servante Jacinthe (et son air « S’il est sur terre un emploi ») tout comme son amoureux, Gil Perez, dont Laurent Kubla, chante avec gourmandise son « Deo gratia » juste imbibé comme il faut. Le ténor bien projeté de François Rougier (Juliano) ressort bien dans les ensembles du deuxième acte. Quant aux comédiens Sylvia Bergé (Sœur Ursule qui n’est pas sans faire penser à une certaine Cruella d’Enfer) et Laurent Montel (Lord Elfort à l’accent british bien exagéré), ils ne se laissent pas faire et n’hésitent pas eux-aussi à pousser la note.