Les superproductions autour d’œuvres-phare de la musique contemporaine semblent fleurir en cette fin d’année 2018. Après un Stockhausen d’anthologie qui rassemblait les forces du Balcon et du CRR de Paris, voici un Ligeti tout aussi ébouriffant, mêlant les effectifs de l’Ensemble intercontemporain et de l’Orchestre du Conservatoire de Paris, avec la participation remarquée du Chœur national hongrois.
Ce concert aux allures pantagruéliques donnait à entendre deux chefs d’œuvre du compositeur hongrois, se complétant mieux qu’on ne l’imagine. En effet, la farce breughelienne du Grand Macabre peut être vue comme une parodie du sentiment d’angoisse qui domine dans le Requiem. On dresse ici avant tout le portrait d’un Ligeti torturé par la question de la finitude, se réfugiant dans l’humour noir et scabreux, ou affrontant le problème à bras le corps, avec un soupçon de religieux.
© Ensemble intercontemporain
Un des défis majeurs du Requiem est de trouver la concentration suffisante pour instaurer l’ambiance mortifère de rigueur. Le moindre écart de nuance ou d’articulation suffit pour déchirer la toile contrapuntique finement tissée par un compositeur qui tenait Ockeghem pour l’un de ses maîtres. Pour cela, la battue ramassée et sans équivoque de Matthias Pintscher s’avère très efficace. Sa gestion des nuances est tout à l’honneur de la partition, et le chef peut compter sur la qualité des interprètes qui l’entourent pour tisser une magnifique tapisserie musicale.
Il faut avant tout rendre hommage à la grande qualité du Chœur national hongrois, préparé par Csaba Somos, qui ne laisse poindre aucune difficulté lorsqu’il s’agit de sortir des extrêmes graves ou aigus, tels que la partition en regorge.
Ces lignes vocales escarpées, les deux solistes de la soirée n’y échappent pas non plus. Dans l’ensemble, la mezzo Victoire Bunel s’en tire encore un peu mieux que sa partenaire Makeda Monnet, mais l’une comme l’autre épatent par leur intonation infaillible et leur souplesse vocale. Plus que les zig-zags du Dies irae, c’est le calme recueilli des sons tenus du Lacrimosa qui nous laissera la plus belle impression de la soirée.
Changement d’ambiance le plus radical après l’entracte : la mort est ici tournée en bourrique. L’intérêt du livret du Grand Macabre, œuvre commune du compositeur et de Michael Meschke réside dans sa gouaille absurde, dans son humour désespéré. Pour présenter un opéra aussi ambitieux, sans pour autant devoir se farcir les deux heures de musique (un peu fatigante à la longue), on a opté ici pour une version allégée de l’œuvre, réduite à une quarantaine de minutes. Si l’on peut regretter l’absence des ébouriffants « Mystères du Macabre », on constate que cette réduction donne un aperçu assez fidèle de ce qu’est l’œuvre dans toute sa durée.
Pourtant, ce qui devait être plus aisé à mettre en place que le Requiem n’est pas non plus gagné d’avance. En effet, la battue de Matthias Pintscher est toujours aussi énergique, mais les tempi très rapides de la partition déroutent parfois les interprètes, à l’image d’une première scène un peu trop précipitée. De plus, le vacarme instrumental orchestré par Ligeti et exacerbé par Pintscher couvre souvent des chanteurs mis en difficulté par les registres extrêmes de leur rôle.
Le ton nonchalant et bouffon du ténor Benoît Rameau sied tout à fait au rôle de Piet-le-Pot, et à part un allemand perfectible, il n’y a rien à reprocher à une interprétation on ne peut plus vivante. Le même constat scénique vaut pour le Nekrotzar de Jean-Christophe Lanièce. Si le baryton doit encore consolider ses graves pour pouvoir camper de tels rôles, la prononciation est de nouveau l’atout du chanteur. Côté féminin, le duo Amando/Amanda formé par Marie Soubestre et Victoire Bunel déborde comme il faut de sensualité. Si les aigus puissants de la première couvrent un peu le registre de la seconde, leurs interventions brillent avant tout par leur musicalité. Les voix de Borbála Kiss, Makeda Monnet, Olivier Gourdy et Jenö Dékán viennent honorablement compléter la distribution pour le canon final.
On constate avec toujours autant de bonheur que les collaborations entre conservatoires et salles de spectacles autour d’œuvres contemporaines se déroulent à merveille. La récompense pour l’organisation d’une telle production est avant tout le public venu se masser dans une Grande salle de la Philharmonie pleine jusqu’au dernier siège.