La belle équipe des Malins Plaisirs est une habituée de l’Opéra de Rennes. Ses Amants Magnifiques avaient constitué un temps fort de la saison dernière et leur nouvel opus ne déroge pas à la règle. Pour fêter les 150 ans du Médecin malgré lui, Vincent Tavernier et Claire Niquet décalent subtilement la tradition du théâtre de foire en proposant une scénographie compacte et maligne : leur boite à tiroirs dotée d’un système d’estrades amovibles est parfaitement efficace. Ils renouvellent ainsi le système un peu trop vu du tréteau de théâtre pour les spectacles qui ont vocation à tourner dans les salles les plus diverses. C’est le cas justement de cette production accueillie dans six villes bretonnes courant décembre pour une version à trois musiciens.
La scénographe détourne également la coutume des toiles peintes de la plus habile des manières : la surface du cube compose un tableau noir sur lequel les chanteurs dessinent à la craie les différents décors, mais également leurs accessoires (comme les bouteilles dont s’enivre Sganarelle). L’effet, plein de charme, occupe agréablement l’oeil pendant les intermèdes musicaux.
A cette sobriété des effets répond le beau travail de coloriste d’Eric Plaza-Cochet dont les costumes refusent de choisir entre le temps de l’écriture théâtrale et celui de la composition lyrique. Ce jeu entre deux époques est tout à fait justifié puisque Gounod lui-même utilise le texte de Molière et adresse de nombreux clins d’oeils musicaux au XVIIe siècle dans sa partition.
© Laurent Guizard
Outre leur goût pour le lyrique, les Malins Plaisirs sont familiers du répertoire du théâtre classique. Cela est perceptible dans la direction d’acteur ciselée, où le rythme est fondamental, et qui permet aux chanteurs – tous excellents comédiens – de faire justice au texte parlé. L’absence de surtitrage leur impose une discipline supplémentaire dans les airs : ils doivent particulièrement soigner leur diction.
Ce n’est pas un souci pour Marc Scoffoni (Sganarelle), bien connu du public rennais, qui régale de son abattage plein d’allant, de sa voix bien placée, ronde et superbement projetée.
Jean-Vincent Blot (Geronte), Nicolas Rigas (Valère) et Olivier Hernandez (Lucas), au diapason, bouffonnent avec un entrain communicatif et leurs ensembles s’avèrent très réussis, nets et équilibrés.
Argentin, Carlos Natale pourrait être plus fragile au chapitre de la diction, mais il propose un Léandre épatant au très beau timbre lumineux et pourtant percussif. Son air d’entrée, la tête dans les étoiles, soutenu par les pizzicati tout en délicatesse de l’orchestre offre un bien joli moment de poésie.
Chez les dames, Ahlima Mhamdi reprend le rôle de Martine qui lui avait fort réussi à Genève l’an passé. Le tempérament est là; si elle est parfaite scéniquement, si les aigus sont brillants, les graves veloutés à souhait, la projection du son se révèle un peu nasale. Sylvia Kévorkian souffre d’un défaut similaire qui empèse sa diction et son medium ; un rhume sévit peut-être dans la troupe en cette fin novembre ? Héloïse Guinard y échappe heureusement. La jeune soprano, élève du Pont Supérieur, joue avec grand naturel le maitre d’école comme la muette ou l’amoureuse. Elle compose une Lucinde aux inflexions assurées, aussi fraiche que touchante.
Gildas Pungier, à la direction de l’Orchestre de Bretagne, apporte sa rigueur, sa subtilité dans le dosage des voix, son écoute de chacun. Les vingts musiciens y gagnent en précision.