Avec la prise de rôle de Natalie Dessay en Cleopatra au Palais Garnier, la première mise en scéne de Rolando Villazon à l’Opéra National de Lyon était bien l’évènement lyrique de ce début d’année 2011. Dans l’un comme dans l’autre cas, le moins que l’on puisse dire est que ces deux moments très attendus auront finalement fait l’effet d’un pétard mouillé !
Loin d’être indigne, la soirée étant riches en belles images, le coup d’essai de Villazon demeure néanmoins inabouti tant il laisse en suspens de questions, embrouille le spectateur qui, comme il peut, essaie de comprendre un discours un tantinet confus – , quand il ne recourt pas à des facilités un peu navrantes.
Ainsi, Villazon transpose t-il Werther dans l’univers de l’enfance et du cirque. Pourquoi pas après tout ? Schmidt et Johann sont grimés en clowns tandis que de vrais clowns incarnent les rôles muets de Kätchen et Bruhlmann. Plus discutables sont la présence des deux doubles du héros, le dit Bruhlmann – enfermé la plupart du temps dans une grande cage à oiseaux qui est aussi le principal élément de décors du dispositif scénique signé François Séguin – et un enfant constamment présent quand Werther paraît sur scène.
Si le symbolisme de la cage est trop clair (les conventions sociales et leurs atteintes à la liberté des individus), celui des doubles ne l’est pas assez, sans compter qu’il devient vite pesant et ennuyeux. La symbolique des couleurs, très prégnante ici, demeure elle aussi un peu trop appuyée. Le blanc de la pureté pour Sophie, le rouge puis le noir pour une Charlotte tour à tour enamourée puis endeuillée, le jaune pour l’ardeur juvénile du héros. Mais c’est le traitement du dernier acte qui aura le plus fortement déçu. On n’aura jamais assisté à un duo final (suivi par le suicide de Werther) véhiculant aussi peu d’émotion. Déjà livrés à eux mêmes dans nombre de scènes précédentes, voilà en effet nos deux protagonistes chantant leur duo d’amour à cinq mètres l’un de l’autre, face au public, avant que Werther agonise tout seul dans son coin…
Côté plateau, les femmes sont gagnantes face à un Werther et un Albert de peu de relief. Vocalement autant que scéniquement, le ténor mexicain Arturo Chacon-Cruz, après avoir été un pâle Faust l’an dernier à Montpellier, continue de décevoir. Déjà piètre comédien, le fait qu’il reprenne (qu’on lui fasse prendre ?…) à son compte la gestique propre à son illustre compatriote (tels que les yeux levés vers le haut ou les bras mis en croix…) le dessert un peu plus. Et son organe n’emballe pas non plus avec des aigus tour à tour poussifs ou hurlés et un timbre légèrement chevrotant, sans parler de réels soucis dans les notes de passage. Seule la prononciation du français, bien mieux maîtrisée que Villazon lors de ses prestations dans le même rôle à Nice puis à Paris, est à mettre au crédit du chanteur. Lionel Lhote dans le rôle d’Albert déçoit également avec sa voix terne et son timbre blême. Le baryton belge fâche aussi par une émission singulièrement engorgée tandis que l’acteur est falot. A contrario, le bailli du toujours superbe Alain Vernhes émerveille. La générosité du comédien, pétri d’humanité, tout autant que l’excellence du chant et de la diction, suscitent l’enthousiasme. Jean-Paul Fouchécourt et Nabil Suliman, respectivement Schmidt et Johann, forment, de leur côté, un exquis duo comique.
Magnifique de style comme de diction, Karine Deshayes incarne une Charlotte d’une rare crédibilité scénique, toute de fraîcheur et d’innocence d’abord avant de composer ensuite un magnifique portrait de femme blessée. La voix n’est pas en reste avec un timbre flatteur aux couleurs chaudes et moirées. Si le grave n’a pas toujours l’assise requise, l’aigu sait se faire fulgurant ! Avec cette prise de rôle, la mezzo-soprano française s’inscrit définitivement parmi les meilleures ambassadrices actuelles du chant français. La délicieuse Anne-Catherine Gillet reprenait à Lyon le rôle de Sophie dans lequel la soprano belge avait conquis le public de l’opéra Bastille l’an passé. Dépourvue de toute mièvrerie mal venue, elle éblouit à nouveau tant par son jeu de scène empreint d’une vraie grâce que par l’éclat cristallin de sa voix. Chacune de ses apparitions est décidément un vrai bonheur.
Pour finir, la direction musicale de Leopold Hager, sans démériter vraiment, ne nous convainc guère. Sans aspérités, sans réel impact dramatique, sa lecture nous paraît trop propre et trop sage pour rendre véritablement honneur à la partition de Massenet qui aurait mérité plus de soin, notamment en terme de couleurs et de nuances. La musique de Mozart, dont le chef autrichien est un spécialiste, semble bien mieux convenir à son tempérament que le romantisme passionné du compositeur stéphanois. Ceci posé, certains soli instrumentaux exécutés par l’Orchestre National de l’Opéra de Lyon sont à louer pour leur délicatesse tout comme l’est la formidable prestation des enfants de la Maîtrise maison.