Le Petit Duc a fait les beaux soirs de plusieurs générations, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Et puis, comme tant d’autres opéras-comiques et opérettes de la même époque, il est passé de mode et a quasiment disparu des affiches. Il s’agit donc aujourd’hui d’une rareté que peu de lyricomanes, à part ceux qui étaient à Metz en 2000, peuvent se vanter d’avoir vue sur scène. Autant dire que le public se pressait au Trianon, rempli à craquer. Et il ressort de cette représentation la grande injustice de ce type d’oubli : que l’œuvre soit charmante et sa musique excellente, on le savait déjà. Qu’elle puisse aujourd’hui séduire un large public de tout âge, la preuve en est faite.
Le pari est tenu avec un total respect de l’œuvre, et la représentation suit scrupuleusement la base originale. L’orchestre n’est pas réduit, le texte n’est pas modifié, les personnages et les situations restent les mêmes, et tout cela s’enchaîne à merveille. Respect aussi au niveau des tessitures, le rôle de Raoul de Parthenay étant bien tenu par une soprano, comme le veut la partition originale (le film d’Henri Spade – TV/INA 1960 -, qui montre comment on ne pourrait plus présenter cette œuvre aujourd’hui, et la seule presqu’intégrale au disque, de 1969, avaient préféré un ténor, avec un résultat mitigé). Seule entorse à cette règle, le rôle de Diane de Château-Lansac est tenu par un homme, nous y reviendrons.
Élèves du pensionnat des demoiselles nobles de Lunéville autour de Marion Tassou (Blanche de Cambry).
© Photo Marie-Louise LE GOFF – tous droits réservés
La nécessaire « modernisation », pour permettre à l’œuvre de mieux correspondre à notre conscience collective près de 140 ans après sa création, va donc se faire par petites touches, à travers un regard un peu au second degré, et surtout une bonne amplification des ressorts comiques. Pas de décor, sinon un dispositif scénique fait de grands cubes de bois qui virevoltent au fil des événements et permettent d’étager les plans, égayés de costumes d’une grande fraîcheur de Laurianne Scimemi Del Francia. Surtout, la mise en scène inventive et efficace d’Edouard Signolet fait de l’ensemble un délice. Car il s’agit ici de vrai théâtre, avec une véritable et efficace direction d’acteurs qui touche également, bien sûr, les douze excellents choristes masculins et féminins qui campent chacun des silhouettes inénarrables. La fameuse leçon de chant et le chœur de la leçon de solfège qui suit (sol-ré-sol-la-ré…) est notamment un régal. Grâce enfin à la direction vive et précise de Nicolas Simon qui rend pleinement justice à toutes les facettes musicales de l’œuvre, grâce aussi à la belle clarté de son très bon orchestre des Frivolités Parisiennes, tout contribue à faire de la représentation un véritable délice. Et l’on y perçoit fort bien tout ce que le compositeur devait à Offenbach, notamment dans le duo « C’est une idylle… » et dans l’ensemble « Pas de femmes… ».
Mais le plateau n’est pas en reste, où cinq excellents chanteurs-acteurs brûlent les planches. Sandrine Buendia tient le rôle travesti de Raoul de Parthenay, avec une voix parfaitement adaptée au personnage sans être véritablement masculine. Elle y est épatante de simplicité et de naturel, avec juste ce qu’il faut de sensibilité, de drôlerie (costumée en paysanne chantant l’air attendu se concluant sur : « J’ai cassé mes deux douzaines d’œufs, mais j’ai gardé mon innocence ! ») et même de sentiment dans l’air « Mon épée, ah l’ordre est sévère… » suivi du clin d’œil final « Le plus bel officier du monde ne peut donner que ce qu’il a ! ».
Face à lui (à elle…), sa toute jeune épouse Blanche de Cambry est interprétée par Marion Tassou, qui campe un personnage vraiment hors du commun. La voix est belle, riche et forte, et l’interprète déchaînée. Point de douce et timide épousée, c’est un peu la Fille Angot – pas bégueule, forte en gueule – qui serait devenue duchesse. En plus l’âge est là : encore très potache, elle déchaîne ses camarades du (prétendument) calme pensionnat où l’on l’enferme, annonçant ainsi Mam’zelle Nitouche (1883). La période encore un peu trouble du passage de l’adolescence à l’âge adulte est ici traduite de manière très contemporaine et agressive, et promet un couple bien dans l’air du temps, qui ne saurait sans doute durer très longtemps !
A leur côté, Montlandry et Nicolas Frimousse forment un couple improbable à la Laurel et Hardy, avec d’un côté le grand Jean-Baptiste Dumora à la voix sonore pour ne pas dire tonitruante comme il sied à un militaire, et de l’autre le plus petit Rémy Poulakis, trial délicat comme il sied à un lettré distingué. L’un et l’autre sont très drôles, et la chanson du « Petit bossu » fort bien interprétée par le premier.
Enfin, Mathieu Dubroca est – bien que très mince – l’énooooorme Diane de Château-Lansac, hystérique mais racée directrice du pensionnat des demoiselles nobles de Lunéville. Était-ce indispensable de confier ce rôle à un homme? Peut-être pas, mais à défaut de pouvoir s’offrir Dawn French, comme la production londonienne de La Fille du Régiment, il faut convenir que le résultat est irrésistible. Un peu comme Marion Tassou, il est constamment sur la limite, mais comme elle, il ne franchit jamais la ligne rouge, et il faut dire que sa prestation scénique, tout comme sa courte prestation vocale, sont du grand art. Rappelons d’ailleurs que ce type de prise de rôle était tout à fait courante au XIXe siècle, et était un procédé cher à Offenbach comme par exemple dans Mesdames de la Halle, où les trois commères étaient jouées en travestis par Léonce, Désiré et Mesmacre, ou encore dans M. Choufleuri… où c’est à nouveau Léonce qui jouait Madame Balandard.
Au total, on rit beaucoup, on retrouve avec plaisir des airs connus que l’on avait oubliés venir du Petit Duc, et l’on déguste de bon cœur cette rare gourmandise merveilleusement bien assaisonnée. On aimerait retrouver en enregistrement audio et/ou vidéo ce spectacle jubilatoire, auquel on souhaite une longue série de représentations accompagnées d’animations scolaires auxquelles il se prête parfaitement. Prochaines représentations le 3 mars à l’Opéra de Reims et le 5 mars au Théâtre de Saint-Dizier.