Quel livret ! Essayons de résumer brièvement l’action… Henri de Valois, envoyé par sa mère Catherine de Médicis pour monter sur le trône de Pologne, se languit de sa France natale : de la couronne, il n’en a pas plus envie que ça, surtout dans ce pays lugubre et glacé… Il n’est d’ailleurs pas le seul à s’opposer à son accession au trône : les conjurés menés par le Grand Palatin Laski, sa nièce Alexina, et l’époux de cette dernière, l’Italien Fritelli, complotent à son retour forcé. Or Alexina n’est autre que l’amante autrefois abandonnée subitement à Venise par Henri, et qui voue depuis lors une haine farouche aux français (d’où la conspiration). Mis au fait du complot, Henri y voit une occasion rêvée d’être renvoyé en France sans qu’on puisse l’accuser d’abandon de poste ; et pour s’assurer du succès de son enlèvement, il se joint aux conjurés, se faisant passer pour son ami, le duc de Nangis, qui lui se retrouve par la force des choses « roi »… J’oubliais que Nangis est amoureux de Minka, une jeune esclave qui est elle-même au service du Grand Palatin… Vous me suivez ? Non ? Et c’est normal ! Comme l’écrivait Paul Dukas, « il est regrettable que la musique du Roi malgré lui s’adapte à aussi triste livret ». Trop de faux-semblants tuent tout fil conducteur dans cette intrigue confuse, qui se terminera évidemment par le couronnement du Roi malgré lui !
Laurent Pelly et Agathe Mélinand ne cachent pas le regard ironique qu’ils portent sur ce livret improbable et en jouent par le biais d’une mise en abîme. On assiste donc, dans un décor d’entrepôt aux murs nus, à l’arrivée de comédiens venus répéter l’œuvre, au temps de Chabrier (chapeaux hauts-de-forme et redingotes) ; ils prennent à peine le temps d’endosser leurs costumes d’époque (le XVIe siècle cette fois-ci !) qu’ils commencent déjà à chanter. Si le procédé du théâtre dans le théâtre n’est pas en lui-même particulièrement novateur, l’utilisation qui en est faite est particulièrement savoureuse, avec l’omniprésence de trois comédiens, Olivier Sferlazza, Bruno Andrieux et Jean Benoit Terral, tour à tour accessoiristes, assistants metteurs en scène, et bouffons (ils ont notamment tendance à se tromper d’intrigue, se prenant pour les trois mousquetaires !), vrais fantaisistes qui apportent une note iconoclaste aux scènes. Le tout porte indéniablement la patte de Laurent Pelly, un travail en profondeur sur les jeux de scènes, les chorégraphies des chœurs, et un vrai sens du détail burlesque.
Si le livret est décousu, la musique, elle, est luxuriante, variée (bien peu polonaise à vrai dire) mariant allègrement barcarolle, fugue, valse et quelques touches orientales. L’orchestration est raffinée avec une présence affirmée des cuivres. On note également la place prépondérante accordée aux chœurs, défendus par un Chœur de l’Opéra de Lyon en grande forme. Nous avons été moins séduits par les sonorités un peu mates de l’Orchestre de Paris sous la direction de William Lacey qui aurait gagné à plus de légèreté.
L’équipe de chanteurs réunis pour cette reprise (en grande partie renouvelée par rapport à la création du spectacle à Lyon en 2005) emporte l’adhésion tant sur le plan vocal que sur le plan de son investissement scénique.
Les barytons sont légion dans la distribution mais chacun trouve facilement sa place. A tout seigneur tout honneur, le Henri de Jean-Sébastien Bou, silhouette juvénile et prestance naturelle, séduit par sa diction parfaite et une projection plus que confortable. Franck Leguérinel campe lui un Fritelli hilarant, plus pleutre que de nature ! Mais le ridicule n’empêche pas un chant puissant et racé. Enfin, le Laski de Nabil Suliman est grandiloquent à souhait.
Gordon Gietz nous a par contre semblé un peu égaré dans le rôle de Nangis. Sa prestation n’a rien de déshonorant, mais on attend un ténor plus gracile dans cette partition, au point que le chanteur en paraîsse parfois bien engorgé. On imagine que Yann Beuron devait sonner plus idiomatique à Lyon.
Gracieuse, voilà bien l’adjectif qui vient immédiatement à l’esprit dès l’apparition de la charmante Magali Léger. Délicieuse et fine mouche, sa Minka remporterait tous les suffrages n’était un registre aigu qui manque parfois de délié. Elle n’en réussit pas moins une chanson tzigane – « Il est un vieux chant de Bohême » véritable tube de la partition – brillante aux colorations délicates.
Pouvait-on rêver d’un plus parfait opposé à la frêle esclave que Sophie Marin-Degor – Alexina ? La chanteuse s’en donne à cœur joie en virago, sorte de Walkyrie égarée dans un opéra comique… Et vocalement tout est assumé, puissance, sûreté de la vocalise. Elle est épatante, vous dis-je !
Vous l’aurez compris, nous avons là une bonne dose d’euphorisant… Il est en vente libre pour cinq représentations, profitez-en vite !
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