La représentation de deux opéras en un même spectacle pose toujours question. Si certains binômes s’imposent d’eux-mêmes – Cavalleria Rusticana et I pagliacci, L’Heure espagnole et L’Enfant et les sortilèges –, d’autres paraissent moins évidents. Charge alors au metteur en scène de convaincre du bien-fondé de l’appariement, note d’intention à l’appui, pour un résultat souvent tiré par les cheveux. Faut-il par exemple proposer Iolanta, dont la durée avoisine l’heure et demie, seule ou accompagnée d’un autre ouvrage ? L’opéra de Paris a choisi l’année prochaine de la coupler au ballet Casse-Noisette, comme l’avait prévu Tchaïkovski à l’origine.
Le Théâtre national de Prague a décidé, lui, de ne pas chercher midi à quatorze heures. Son choix s’est porté sur Le Rossignol. Les deux opéras sont russes et ne comportent qu’un acte. Les similitudes s’arrêtent là, tant au niveau des thèmes abordés que de l’écriture musicale. Chacun des deux ouvrages reste en effet fermement ancré dans son époque (bien que la composition du Rossignol en deux périodes séparées de plusieurs années induise au sein même de la partition un écart de style que Stravinsky n’a pu éviter). Ce sont donc deux spectacles distincts qu’a imaginé Dominik Beneš, si différents qu’on a du mal à penser qu’ils ont été signés de la même main. Onirique et abstrait, Le Rossignol opte pour un style chorégraphié dans un décor épuré, écrasé par une lune immense favorisant un jeu diffus de lumière, tantôt rouge, tantôt bleu. Réaliste au contraire, Iolanta a pour cadre une scène jonchée de fleurs, rythmée par deux immenses rideaux représentant une forêt. L’approche privilégie un mouvement naturel. Plutôt que de chercher des correspondances là où il n’y en a pas, le metteur en scène s’est préoccupé de composer un univers visuel en relation avec la musique et le livret. N’est-ce pas toujours ainsi qu’il faudrait procéder ?
© Národní divadlo
D’un opéra à l’autre, les similitudes vocales sont également limitées. Jaroslav Březina et Yukiko Šrejmová Kinjo se chargent de faire le lien. Si Le Rossignol leur offre l’occasion de faire valoir, l’un en Pêcheur, l’autre en Cuisinière, un chant irréprochable, un rien trop musclé cependant pour le ténor dans un rôle où l’on attend davantage de poésie, Iolanta ne leur concède que peu de notes. Chez Tchaïkovski s’impose d’abord Veronika Dzhioeva, soprano russe dont la voix, par la rondeur généreuse du son, rappelle celle de sa compatriote Anna Netrebko. Cette Iolanta sensuelle et épanouie assume sans difficulté une tessiture pas si confortable, du grave naturellement sonore à l’aigu dardé et précis. Vaudemont fragile, Aljaž Farasin est un authentique ténor lyrique au charme certain, égaré dans une partition inadaptée à ses moyens actuels. Accepter un tel contrat sans en avoir ni la puissance, ni la vaillance, ni l’endurance (bien qu’il en possède toutes les notes), n’est-ce pas – hélas – poser une hypothèque sur l’avenir ? Que le timbre de Vladimír Chmelo paraisse érodé n’a rien d’inacceptable – le poids des ans peut expliquer l’expérience du sage –, que la voix plafonne dans son seul air s’avère plus gênant. En Robert, Roman Janál ne manquerait ni de panache, ni de séduction s’il n’était renvoyé dans l’ombre par Zdeněk Plech. Cette basse à la voix somptueuse et colossale pourrait en soignant davantage sa ligne de chant prétendre aux plus grandes scènes internationales. Dans Le Rossignol auparavant, Stravinsky n’a vraiment d’exigences que pour le rôle-titre. C’est presque naturellement que l’Empereur – Aleš Jenis – et sa suite – Miloš Horák et Luděk Vele – semblent en retrait tandis qu’ Olga Jelínková répond à toutes les sollicitations de l’écriture, en termes de virtuosité et de musicalité, d’une voix de soprano colorature dépourvue d’acidité.
Peu présent dans la première comme dans la deuxième partie, le chœur du Théâtre national expose une homogénéité sans faille. L’orchestre, lui, confirme ce qu’il avait laissé entendre la veille dans La Petite Renarde rusée, à savoir la supériorité des cordes sur les vents, les cuivres notamment. Zbyněk Müller préfère l’épanchement lyrique à l’efficacité dramatique. Sevrée de ce « lait de la tendresse humaine » dont parlait Shakespeare, sa direction prend en toute logique « le chemin le plus court ».