Le fantôme est revenu. C’est du Vaisseau fantôme qu’il s’agit. Du Vaisseau fantôme mis en scène par Willy Decker. On l’avait déjà vu à la Bastille en 2000 et 2010. On ne se plaindra pas de son retour. C’est un magnifique spectacle.
Lisons les « notes d’intention » du metteur en scène. Pour une fois elles sont compréhensibles. Il nous dit que « la tempête qui fait rage dans la musique de Wagner ne peut être montrée sur scène que dans les êtres. » C’est clair : la tempête est dans les têtes plus que dans les faits. Elle est psychologique. C’est tempête sous un crâne ! C’est le vaisseau phantasme !
A fin, Senta se poignarde au lieu de se jeter à la mer comme l’a prévu Wagner. Une question se pose alors : cela aura-t-il un effet rédempteur sur le capitaine maudit qui doit trouver l’amour éternel pour être sauvé ? Cette question nous taraude en quittant le spectacle. On y pense encore en prenant le métro ou le taxi. Peut-être nous empêchera-t-elle de dormir !
Mais, répétons-le, le spectacle est magnifique. Le décor, unique, se transforme en un clin d’œil : d’abri de marins il devient domicile bourgeois. Dans l’abri de marins, les hommes tirent jusqu’à l’intérieur les… du navire. (N.B. : remplacer les petits points par un mot que, par superstition, on ne peut prononcer dans un opéra : le mot « cordes » !) Le domicile bourgeois est celui où Senta rêve d’un amour éternel avec le capitaine maudit appelé Hollandais volant (Fliegende Holländer dans le texte).
Scène finale du Vaisseau (Photo Elisa Haberer/ Opéra de Paris)
La distribution est inégale. Elle est largement dominée par la performance du baryton polonais Tomasz Konieczny dans le rôle du Hollandais. Sa voix grave, puissante, nous prend, nous fascine, fige l’assistance dès qu’elle s’exprime.
Un autre wagnérien de premier ordre incarne Daland : Günther Groissböck. On aime le métal de sa voix, ses graves profonds, sa puissance expressive.
Ricarda Merbeth incarne Senta. La voix de cette wagnérienne qu’on a admirée naguère commence à être fatiguée. Elle compense ses défaillances vocales par l’intensité tragique de son expression. Cela lui a quand même valu de beaux bravos à la fin.
Michael Weinius, dans le rôle d’Erik – l’amoureux de Senta – a un beau timbre, articulant son chant de manière méthodique, parfois syllabique. Mais, au soir de la première, il n’a pas tenu la distance. Son dernier air « Senta ! Leugnest du ? » manqua de conviction.
Dans les deux derniers rôles, nous avons été gênés par le vibrato de la mezzo Agnès Zwierko mais apprécié les brèves intervention du ténor Thomas Atkins.
« Ho ! He ! Ya ! He ! » chante le chœur de l’Opéra! Et toute la salle vibre. Ce chœur est toujours impressionnant, mais à certains moments les hommes perdent leur précision rythmique.
Pour dominer la tempête wagnérienne, on avait besoin d’un bon capitaine au long cours (Deux heures et demi sans entracte !) Ce fut le chef finlandais Hannu Lintu. Il a mené son orchestre d’une main ferme, solide. Les flots de la musique wagnérienne ont puissamment surgi de la fosse.
Une autre houle assaillit à la fin le chef et les artistes – celle des bravos, elle était méritée !