Il y a un mystère Véronique Gens. Quand elle entre en scène, avec ce naturel qui allie la réserve et la dignité, elle se place d’emblée à une hauteur aristocratique d’où son art ne redescendra pas. Ses tenues mêmes, tunique noire qui irait à une tragédienne ou robe ivoire au chaste corsage, en disent long sur une personnalité qui se refuse – quand son physique le lui permettrait – à jouer le jeu du glamour. C’est sur sa maîtrise de musicienne et sur sa sensibilité d’interprète qu’elle a bâti sa carrière. Mais il est frappant de constater à quel point sa présence physique contribue puissamment à l’effet de son chant, car la voix de ce corps en exprime toute la fermeté, toute la vie palpitante. On est ainsi témoin d’une prestation impossible, d’une exhibition qui refuse l’exhibitionnisme. Cette performance paradoxale, Véronique Gens l’accomplit sans le moindre faux pas, en virtuose raffinée et confirmée. Quand la ligne en impose et tient à distance, les tremblements de sa voix imitent l’intimité, mais si l’on prend ses murmures pour des confidences, elle ne cède jamais à l’épanchement, car elle se prête au spectacle, mais ne s’abandonne pas au public. La voir et l’entendre est donc un spectacle qui relève du supplice chinois, tout ensemble suscitant et frustrant le désir !
Que rêver de mieux pour ce programme de mélodies françaises, elles-mêmes quintessence d’un art de clarté, de séduction et de concision, avec ce que cette dernière notion implique de renoncement ? On oubliera donc quelques aigus aux limites qui compromettent la netteté du texte dans les premiers Fauré pour se repaître de l’ampleur, de la souplesse, du moelleux d’un velours exactement coupé, dont la tombée souligne la ligne sculpturale et pourtant frémissante d’une diction qui n’est plus à vanter. Parfaitement secondée, on s’en doute, par l’experte Susan Manoff, partenaire de maints chanteurs dans ce répertoire, Véronique Gens cisèle sans le moindre alanguissement complaisant Duparc, Debussy et Chausson, avant la série exquise de Reynaldo Hahn. Piani, sons diminués et messa di voce, la gamme entière de la virtuosité vocale concourt à la lumineuse expressivité. Au public conquis les deux artistes accordent deux bis, « Les roses d’Ispahan », mélodie de Fauré, et « Les chemins de l’amour », donnant à la caressante mélodie de Poulenc une sensualité capiteuse. Alors, le devoir accompli, elles remercient d’un sourire où transparaît l’enfant qui vit toujours en elles. Ce n’est pas la moindre des grâces de ce concert.
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