A l’occasion de la rediffusion en streaming de L’elisir d’amore (visible jusqu’au 30 juin 2020), nous vous proposons de relire ci-après le compte rendu de la représentation du 08 septembre 2015.
Spectacle de rentrée d’une saison qui s’annonce hybride, (La Monnaie a quitté sa salle pour une année pour cause de travaux) cet Elixir d’amour complètement déjanté semble avoir conquis le public, malgré quelques faiblesses.
Le Cirque Royal de Bruxelles qui accueille ce spectacle est une sorte de vaste amphithéâtre avec une scène centrale assez peu propice à l’opéra, une acoustique difficile et une atmosphère aussi peu festive que possible, très étrangère à la magie du théâtre. Tachant de transformer ces faiblesse en atouts, le metteur en scène Damiano Michieletto prolonge en quelque sorte l’été, puisqu’il a transposé l’action dans une station balnéaire italienne envahie par la foule des vacanciers : sièges en plastique, bouées fluo, château gonflable, jeux de plage, serviettes bariolées et accessoires en tout genre envahissent la scène dès le début du spectacle, créant un univers visuel complètement kitch, fourmillant de mille petites actions anecdotiques, joyeux portrait satyrique d’une classe moyenne toute préoccupée d’elle-même et soucieuse d’en profiter au maximum. Le metteur en scène est passé maître dans la mise au point très virtuose de tous ces détails, créant un univers parfaitement cohérant : Nemorino est le plagiste de ce lieu, Adina la propriétaire du bar, Dulcamara un petit dealer local soutenu par une marque de boissons énergisantes et Belcore une sorte d’Aldo Maccione, séducteur sur le retour. Tout cela est criant de réalisme, c’est à dire affreusement laid, et irrésistiblement drôle tant la transposition fonctionne bien. Le deuxième acte qui pourrait s’intituler « soirée mousse à Benidorm » pousse la caricature à son comble, ménageant quand même quelques moments d’émotion plus intime, notamment pour le grand air de Nemorino, chanté depuis le toit du bar. Le prix à payer pour tant de drôlerie, la faiblesse de cette conception, est qu’elle masque presque complètement une des dimension de l’œuvre, sa simplicité, son caractère naïf et touchant, réduits ici à la portion congrue ou enfouis sous les débordements en tout genre.
Olga Peretyatko (Adina) et Dmitri Korchak (Nemorino) © Karl et Monica Forster
Sur le plan musical, la production souffre – c’est peu dire – des conditions difficiles imposées par la disposition des lieux. L’orchestre (en tenue de plage lui aussi, il participe à la mise en scène), est placé derrière les chanteurs, de sorte que le chef ne voit pas le plateau (les chanteurs, eux, bénéficient d’un relai vidéo) ; il en résulte de nombreux décalages, une absence de connexion et, lorsqu’on est placé au parterre, une balance peu satisfaisante reléguant l’orchestre au second plan. Si on ajoute à cela une direction molle, sans relief, peu imaginative et pour tout dire peu inspirée de Thomas Rösner, on comprendra que le hiatus était grand entre l’orchestre et la mise en scène. La distribution bénéficie du brillant concours d’Olga Peretyatko, voix légère et souple, très précise dans ses vocalises, excellente comédienne de surcroit, qui campe Adina avec beaucoup d’entrain. Le ténor russe Dmity Korchak incarne Nemorino avec une touchante candeur et si la voix un peu nasillarde n’a pas toutes les richesses de timbre qu’on pourrait souhaiter, sa musicalité lui permet de donner au rôle beaucoup de présence et de substance dramatique, notamment lorsqu’il entame « una furtiva lagrima », le grand air du second acte particulièrement réussi. Moins convaincant vocalement que scéniquement, Aris Argiris (Belcore) peine à s’imposer au début du spectacle : la voix est peu timbrée, instable et sans charme. Cela s’arrange un peu au fil de l’action, mais l’impression première demeure néanmoins. Voix souple et chantante, le baryton basse espagnol Simón Orfila donne davantage de relief au rôle du Docteur Dulcamara, très caractérisé et bien enlevé malgré un vibrato trop large. Maria Savastano remplit efficacement et avec malice le petit rôle de Giannetta. Les chœurs, très nombreux et sans doute exagérément sollicités par la mise en scène, peinent un peu – à l’instar de l’orchestre – à trouver la précision, la variété d’expressions et de couleurs ainsi que l’énergie vocale qui conviendraient.