Bien que Berlioz ne soit pas demeuré croyant, ses Mémoires nous apprennent que sa première émotion musicale lui a été donnée par « un chœur de voix virginales », en recevant l’hostie lors de sa communion. L’Enfance du Christ, cette « Trilogie sacrée » qu’il nommait avec malice sa « petite sainteté » tenait dans son cœur une place particulière. En effet, c’est sa réussite qui lui a redonné confiance après une longue période de silence due aux cruels échecs de Benvenuto Cellini et de la Damnation de Faust.
1850 : Pour se distraire, Hector écrit L’Adieu des bergers à la Sainte famille, un chœur qu’il attribue – facétieux canular ! – à un musicien imaginaire du XVIIe siècle. Son incroyable succès lui laisse un goût plutôt amer. Puis, le 10 décembre 1854 (année de la mort d’Harriet, sa première femme qui lui a infligé tant de tourments et de son remariage), il reprend son petit ouvrage, l’encadre du « Songe d’Hérode » et de « La Fuite en Égypte » suivie de « L’Arrivée à Saïs ». Et, l’oratorio L’Enfance du Christ, tel que nous l’entendons aujourd’hui, fait alors d’emblée à Paris un triomphe inattendu.
Dans un climat contrasté de ferveur et de terreur, l’histoire qui nous est longuement contée se termine en amour infini et en paix universelle. De l’étable à Bethléem jusqu’au sublime chœur d’Ismaélites final, le texte poétique inspiré de l’Évangile expertement fusionné avec une musique enluminée parviennent ensemble à faire vivre le drame.
Compte tenu des limites d’une version de concert : acoustique imparfaite de la salle, public toussant fréquemment, pauses entre les différentes implantations de l’orchestre et des chœurs à vue… les interprètes, ici réunis – après peu de répétitions – accomplissent une prouesse.
Chef expérimenté, sachant obtenir le meilleur d’un orchestre qui doit participer activement à l’action, Emmanuel Krivine met bien en valeur les beautés d’une partition multicolore, à la fois intime, pieuse, et explosive. Attentif aux chanteurs (rarement couverts quand on est placé au parterre), il dirige avec souplesse et fermeté cordes, vents et percussions. Il apporte un soin particulier aux moments forts : « la marche dans Jérusalem », « le songe d’Hérode », les élucubrations cabalistiques des devins et les anges venus du ciel ». Sans oublier le ravissant trio pour deux flûtes et harpe : six minutes de bonheur applaudies spontanément.
Les quatre chanteurs solistes méritent des éloges.
Avec sa voix puissante et bien timbrée, l’élégant ténor suisse, Bernard Richter assume la fonction de récitant avec la solennité requise. Son excellente articulation corrige sans peine un très léger défaut de prononciation. Il se montre à son meilleur durant sa dernière intervention « Ce fut ainsi que par un infidèle /Fut sauvé le sauveur ».
Dès ses courtes apparitions en Polydorus, on remarque les qualités d’acteur, l’excellente diction et le remarquable ambitus du baryton Edwin Crossley-Mercer. Le rôle de Joseph étant peu exposé au début, on se souvient surtout de sa rencontre avec le Père de famille.
À Nicolas Testé, reviennent les deux rôles les plus étoffés de l’œuvre. Hérode lui permet d’exhiber son impressionnante voix de basse profonde capable d’incursions dans l’aigu. Avec ses graves caverneux « Interminable nuit », il prend le spectateur aux tripes. Sous l’emprise d’une musique inquiétante, il devient effrayant et menaçant. En revanche, quand il incarne le père de famille, il sait être chaleureux, accueillant et rassurant.
Aimante, maternelle et humble, Stéphanie d’Oustrac ne se contente pas de trouver de jolies inflexions, elle vit intensément le personnage de Marie. Quand elle sent son enfant menacé, sa voix chaude de mezzo laisse échapper des cris déchirants « Oh ciel mon fils ! ». Ses duos avec Joseph sont toujours émouvants et profondément ressentis de part et d’autre. Privilégiant le chant sur la diction, on doit parfois jeter un œil sur les surtitres – Un moindre mal assurément.