La situation financière de l’Opéra de Montpellier est suffisamment connue pour qu’on n’y revienne pas. Pourtant, dans une saison qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle devrait être, cette production vient illuminer la grisaille et rendre foi en l’avenir. Certes, proposer L’enfant et les sortilèges en œuvre unique revient à proposer un demi-programme puisque partout où l’œuvre est affichée une autre lui est accolée pour composer un spectacle d’une durée plus substantielle. Mais on ne sort pas frustré du théâtre parce que la réalisation réunit, à côté des forces permanentes, orchestre et chœur, celles de l’Opéra Junior. Comme son nom l’indique, l’institution concerne les jeunes afin qu’ils soient les acteurs d’entreprises musicales. Par suite, leur présence sur scène constitue une force d’appel pour d’autres jeunes et pour des familles. Ils ne seraient pas venus autrement ? Peut-être, mais ils sont là, et manifestement ravis. Comment ne pas espérer que parmi eux il y aura assez d’élus pour maintenir vivantes les valeurs représentées par l’opéra ? Jean Cocteau disait que « la beauté agit même sur ceux qui ne la voient pas ». A plus forte raison chez ceux qui la voient !
Car le spectacle conçu par Sandra Pocceschi (mise en scène), Giacomo Strada (décors), Cristina Nyffeler (costumes) et Geoffroy Duval (lumières et vidéo) est une réussite plastique. Un jeu continu de panneaux compose des espaces différents, où l’enfant, tour à tour Gulliver ou Lilliputien, se situe par rapport aux êtres qui peuplent un monde qu’il anime en y projetant ses sentiments. Par bonheur, à l’exception de la projection des quelques mots déconstruits à la Lacan, la mise en scène n’inflige aucune thèse à travers l’enchaînement des séquences. On pourra regretter que la scène où l’enfant sort de l’égocentrisme, quand il panse l’écureuil blessé, soit si peu explicite, mais même les choix qui pourraient être discutés ne vont pas à l’encontre de l’esprit de l’œuvre, et de façon générale on ne peut que louer une réussite esthétique accordée à la réussite musicale.
Si l’entrée de Jérôme Pillement en veste à paillettes façon M. Loyal interloque, il ne traite certes pas l’orchestration ravélienne en fanfare de cirque ou en bastringue de music-hall. Sa direction est d’une précision rythmique particulièrement délectable, propre à faire valoir les clins d’œil de Ravel à d’autres et à lui-même, et il fait miroiter toutes les couleurs des timbres qui sont partie intrinsèque de la drôlerie et du charme de l’œuvre. Parfois telle ou telle voix disparaît dans le flot, mais c’est fugace et ne suffit pas à briser l’emprise. Reste, constante, la belle définition, modulée et sensible, d’instrumentistes manifestement heureux de jouer cette partition.
A côté de Dima Bawab, déjà Le Feu et le Rossignol à Aix-en-Provence en 2008, aussi éloquente et virtuose aujourd’hui qu’alors, et d’Olivier Brunel, un ancien d’Opéra Junior désormais entré dans la carrière qui campe avec aplomb l’Horloge déboussolée, on distinguera Anya Van den Bergh, gracieux enfant qui surmonte rapidement son trac, Marie Sénié, princesse pathétique, Léna Chevrot-Roche et Gaspard Ferret, tasse et théière savoureux à souhait, et Elisa Brodu en M. Arithmétique déjanté. Mais c’est un satisfecit global que l’on décerne à tous, même si on ne les cite pas. A leurs côtés le choeur de l’Opéra, dans une proximité qui fait plaisir à voir, sans doute propice à susciter des vocations et à conforter les aînés.
Ainsi, sans grands moyens, mais avec du talent et de l’enthousiasme, ce spectacle comble les spectateurs et contribue à rasséréner. Le succès qu’il recueille n’est pas le tribut obligé à un chauvinisme malsain mais un hommage mérité à ses artisans. Opéra Junior promeut la jeunesse qui s’implique dans un véritable projet artistique ? Vive ce jeunisme-là !