L’œuvre, pas des plus jouées, la salle, tellement récente qu’elle n’est pas encore finie, la distribution, presque entièrement francophone, le chef, célébré partout comme un champion de la musique du XXe siècle et plus encore, depuis son disque Dutilleux : tout concourait à faire de cet Enfant et les Sortilèges l’une des toutes premières grandes soirées lyriques de la Philharmonie.
Evoquer une occasion manquée serait d’ailleurs un mensonge, tant la plupart des nombreuses promesses de ces concerts furent tenues. Alors qu’au premier regard, cet opéra semble requérir plus qu’aucun autre tous les artifices de la scène pour donner vie à ces théière, arbre, fauteuil et autres objets qui en sont les protagonistes, une version de concert lui va mieux que bien : sans chercher à donner plus de cohérence narrative qu’il n’en faut à cette succession de tableaux, de situations et de figures, on retrouve la pleine mesure de la folie et de la fantaisie qui marquent cette unique collaboration entre Maurice Ravel et Colette.
Et d’autant plus lorsque la distribution parvient, comme ici, à faire entrer le théâtre dans chaque geste. L’Enfant d’Hélène Hébrard reste une référence en la matière, qui n’oublie jamais que la justesse de l’interprétation passe par une musicalité à toute épreuve. A ses côtés, on retient l’Arbre inquiétant de Nahuel Di Pierro, François Piolino, qui fait un sketch de chacune de ses interventions, Jean-François Lapointe, dont l’élégance un peu corsetée qui est sa seconde nature va parfaitement à l’Horloge et au Chat. Côté femmes, si Julie Pasturaud et Elodie Méchain jouent avec bonheur la carte de l’humour, on garde une oreille particulièrement attentive pour les instants de grâce offerts par Omo Bello et, surtout, par Sabine Devieilhe : encore auréolée de sa récente victoire de la musique, la jeune soprano a bien assez d’agilité et de suraigus pour réussir les vocalises imposées au Feu. Mais c’est surtout dans les quelques mesures de la Princesse qu’elle donne la mesure d’un art tout en subtilités et en messa di voce.
Peut-on alors déplorer que d’autres promesses, peut-être les plus belles, ne soient pas tout à fait tenues ? Dans la première partie, Esa-Pekka Salonen surprend avec une lecture de Ma Mère l’Oye plus bruyante et moins précise qu’on l’aurait rêvée. S’il retrouve, après l’entracte, des couleurs qui donnent un relief magnifique à la scène du jardin, on soupçonne sa sobriété d’être avant tout dictée par le souci de ne pas trop compliquer la tâche de ses chanteurs.
Car ceux-ci, et c’est une autre promesse déçue, doivent lutter pour se faire entendre dans l’acoustique de la Philharmonie, qui donne pourtant une si belle présence à l’orchestre et aux chœurs –y compris les enfants, superbes. Nimbées dans une sorte d’écho disgracieux, les voix manquent de corps, et les efforts visibles des chanteurs pour prononcer un français impeccable ne pèsent pas grand-chose dans ce lieu dont l’ampleur se prête sans doute mieux à la force des éclats qu’à l’alchimie des sortilèges…