Pourquoi, Les Amants magnifique, cette comédie-ballet de Molière sur une musique de Jean-Baptiste Lully, composée et représentée à l’occasion du carnaval de février 1670, est-elle si méconnue ? C’est bien injuste car il s’agit d’une charmante comédie, et qui plus est d’un spectacle complet présenté six mois avant Le Bourgeois Gentilhomme. On a d’ailleurs la surprise d’y découvrir que le célèbre menuet s’y trouve déjà, et que Monsieur Jourdain ne fera que danser sur l’œuvre la plus à la mode du moment. Mais quelle que soit l’adaptation, la première, avec des officiers, ou la seconde avec des gens de cour, un marin et une bergère, la pièce n’a pas trouvé son public, et n’a jamais connu un grand succès. Dans les écoles, elle reste un titre, sur scène les reprises sont rares (intégralement en 1704*, seulement des extraits en 1922 et intégralement à nouveau en 1954 par la Comédie Française, intégralement aussi en 1988 par Jean-Luc Paliès à l’Athénée).
On ne sait, de la nouvelle production qui nous est proposée ce soir, et qui fera date, ce qui est le plus magnifique ! Les amants, certes, nous le redirons, comme tous les acteurs, chanteurs et danseurs. Les décors de Claire Niquet, à la fois légers et évocateurs, parfois simplement esquissés, s’inspirant du principe des frises et coulisses en toiles peintes de l’époque, ou au contraire d’une rigueur toute contemporaine, et très joliment éclairés par Carlos Perez. Les costumes d’Erik Plaza-Cochet, un enchantement de mélange d’époques et de styles avec des tissus royalement raffinés. La direction à la fois rigoureuse et souple d’Hervé Niquet et son orchestre Le Concert spirituel, aux sonorités toujours parfaites, n’ont plus rien à prouver et créent une grande part de l’enchantement. La mise en scène enfin de Vincent Tavernier, qui rend fluide et fascinante une intrigue au demeurant banale, mais oscillant entre marivaudage (déjà) et drame intime. Et qui sait aussi jouer habilement sur le merveilleux, avec des intermèdes fantastiques (celui des poissons tout au début, celui du dragon dans la grotte), ou fort drôles (les quatre momies, la poupée mécanique, et les jeux pythiens du final).
© Les Malins Plaisirs
Il est difficile de dire ce qui prime des différents arts scéniques, tant tout est mêlé et équilibré. Les danseurs sont épatants (« que ces gens se trémoussent bien » aurait dit Monsieur Jourdain). La chorégraphie de Marie-Geneviève Massé est juste modernisée ce qu’il faut, jamais ennuyeuse, et se mêle astucieusement à la pièce elle-même. Les chanteurs sont tous de très bon niveau (on a particulièrement aimé la Caliste d’Eva Zaïcik, qui – déjà – interprète un véritable air de grand opéra). Les voix sont fraîches et musicales, tous font partie de troupes spécialisées, et donc ont l’habitude de jouer ensemble, cela se sent. Quant aux acteurs, ils sont extraordinaires, à commencer par le Clitidas de Pierre-Guy Cluzeau, sorte de Scapin qui occupe merveilleusement l’espace.
Mais le sommet est atteint par Marie Loisel (la princesse Eriphile) et Laurent Prévot (Sostrate) qui à eux-seuls justifieraient de voir cette production, tant ils jouent avec puissance et profondeur autant que fraîcheur et innocence l’une des plus belles déclarations d’amour scéniques jamais écrites. On croit voir revivre Alain Cuny et Marie Déa dans Les Visiteurs du soir, tant est perceptible leur cœur qui bat, qui bat… sous le joug des forces du mal qui sont ici la cour et la société. En effet, les piques sont nombreuses contre les nantis et leurs mauvais principes, et contre les astrologues charlatans. Là aussi, sans qu’il y paraisse, Beaumarchais n’est pas si loin, dans les prémices d’une lutte des classes défendue par Molière avec pourtant un siècle d’avance. Un exceptionnel régal, à ne manquer sous aucun prétexte.
Prochaines représentations à Rennes du 26 au 29 janvier, les 10 et 11 février au Touquet, du 19 au 21 février à Avignon, et le 20 mai à Reims.
* Voir l’intéressant article de Jacqueline Razgonnikoff, « La représentation des comédies-ballets de Molière à la Comédie-Française avec tous leurs ornements ».