Evidemment, lorsque la possibilité d’entendre Patricia Petibon en récital vous échoit, et à voir les expressions hallucinées de certains spectateurs, mieux vaut anticiper les quelques imitations inévitables de chien, de grenouille, de chameau, les coups de talon au sol, les panneaux en bambou sur scène, les clochettes… et le caractère, franchement loufoque, de la diva… et de sa pianiste, puisque Susan Manoff se prête plutôt bien au jeu !
Le monde lyrique ne manque pas de personnalités fortes et d’ailleurs, Petibon nous avait déjà semblé s’être lancé le défi d’en remporter la palme. Il ne manque pas non plus de chanteurs qui s’encombrent d’eux-mêmes pour se faire un nid doux dans le PAF ou pour camoufler quelque faille technique – parfois les deux. Contrairement à ses succédanés, Petibon (dans une robe de sirène pour les plus curieux) réussit à donner lors de ce récital une belle preuve de sincérité, dans une forme vocale exceptionnelle.
Le répertoire réuni pour ce concert mérite certainement l’attention d’un public, à condition d’être défendu par de grands interprètes.
Copland et Barber collent à la peau de Patricia Petibon qui, en plus d’une diction impeccable, trouve chaque fois le ton, se métamorphose en quelques secondes pour alterner avec justesse les pièces les plus légères au extraits les plus mélancoliques. On entendra rarement des mélodies comme At the river, Sure on this shining night (sur un poème de James Agee) données avec une telle intelligence : grâce au piano recherché de Susan Manoff, sans céder à la vulgarité, mais en rendant malgré tout leur qualité « facile ».
C’est encore en anglais qu’elle semble trouver le mieux sa place dans la deuxième partie ; Nicolas Bacri justement, amoureux de cette langue (à laquelle il réserve une bonne partie de son œuvre vocale) dont il met si bien en valeur les accents – au prix de prouesses de technique et de souffle – trouve avec Petibon son interprète idéale : il fallait bien cette étonnante homogénéité, la richesse du timbre même dans le medium et un certain sens du risque pour rendre toutes les subtilités de cette écriture éclatée. Du reste, la prestation exceptionnelle de Susan Manoff, ses couleurs rarissimes, son attention et sa complicité avec la soprano, ne sont sans doute pas étrangères à la beauté de cette exécution.
Moins convaincante dans De Falla (passage obligé des récitals à caractère « intimes ») et Canteloube, où l’enchainement des mélodies pèsent d’une certaine monotonie, il restera encore le plaisir du répertoire français : Poulenc et Les chemins de l’amour, avec encore une diction et un sens du texte incroyable, ou les courtes pièces de Satie que d’aucuns n’oserait donner avant le sixième ou septième bis.
Pour terminer, Je t’aime, sur un poème sagement anonyme (« Mon amant me délaisse, il ne veut plus de moi ! Je me jette à ses genoux, je pleure, je défaille ! je me jette à ses genoux mais il reste de marbre »), déchaine Petibon aussi bien scéniquement (on admire au passage le self-control de ce monsieur-du-premier-rang qui resta justement de marbre alors que la chanteuse s’emparait de sa cravate) que vocalement (l’air de rien, quelques contre-mi s’échapperont de ce joyeux bazar). Pour ménager son effet, on avait fait apporter des coulisses le portrait de cet amant égaré. Je vous le donne en mille :
Romain Louveau
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