Selon Meilhac et Halévy, « Les charbonniers sont tout noirs, tout noirs, et les fariniers sont tout blancs, tout blancs », mais pour Pierre-André Weitz, les chevaliers sont noirs et blancs. Pour sa première mise en scène lyrique, réalisée à la demande du Palazzetto Bru Zane, le décorateur attitré d’Olivier Py s’est pris pour Buren et a choisi un décor et des costumes alternant des rayures de ces deux non-couleurs, pour un effet qui combine l’ambiance du cinéma muet (plutôt Mack Sennett que Murnau) et un hommage à certaine « marque aux trois bandes », les chevaliers étant devenus des sportifs comme dans l’Armida de Mariame Clément qu’on reverra bientôt à Montpellier.
Tout aussi tranché s’avère l’accueil fait à ce spectacle, qui tourne depuis déjà près d’un an, après son inauguration au Grand Théâtre de Bordeaux. Au fil des représentations, la distribution a pu varier, mais l’impression générale reste la même que celle qu’ont pu ressentir nos collègues Christophe Rizoud pour la première, ou Jean-Marcel Humbert pour la reprise à Massy. Le jugement est tranché entre un public hilare et une critique parfois plus réservée. Tranché aussi entre l’admiration qu’inspirent certains aspects et l’irritation suscitée par d’autres.
Irritante, l’agitation constante et gratuite, les cris et les grimaces perpétuels, le caractère systématiquement outré du jeu scénique. Irritante, la tendance à faire passer les gags les plus lourds avant la musique, parce qu’elle semble trahir un certain manque de confiance en l’œuvre. Certes, les opérettes d’Hervé ont jusqu’ici eu du mal à convaincre, en grande partie à cause de l’amateurisme avec lequel elles ont été remontées. Cette fois, les moyens artistiques et financiers sont bien là : fallait-il vraiment rajouter une épaisse couche de clownerie par-dessus ?
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Admirable, la distribution réunie, qui fait notamment appel à des chanteurs habitués à des partitions exigeantes. Magnifique interprète d’Iphigénie en concert à Versailles, Chantal Santon a prouvé ses affinités avec la grosse rigolade en participant aux spectacles montés par Shirley et Dino, et l’on ne s’étonnera donc pas de la retrouver un maîtresse dominatrice dans Les Chevaliers de la table ronde, le rôle de Mélusine exigeant une voix à laquelle les vocalises ne font pas peur. Superbe dans les reines de tragédie lyrique de Lully mais également familière du monde de l’opérette, Ingrid Perruche s’est avec les années construit une autorité scénique et vocale qui fait merveille dans le rôle de la Duchesse. Après avoir vu Manuel Nuñez Camelino en nourrice dans Le Couronnement de Poppée, on savait déjà qu’il pouvait faire rire. Quant à Samy Camps, nouveau venu en Roland, il se tire ici très bien ce qu’on lui impose. Dommage que chez telle ou tel, le texte soit parfois peu intelligible, à cause du bruit ambiant, de tempos trop enlevés ou d’une diction pas toujours aussi incisive qu’on le voudrait. De toute la troupe, celui qui laisse pantois, c’est incontestablement Damien Bigourdan, comédien ahurissant, chanteur-acteur total : il est le seul auquel il est permis d’incarner un personnage, malgré tous les niveaux de dérision appliqués à l’œuvre.
Autant la transcription de Thibault Perrine avait déçu pour L’Ile du rêve de Reynaldo Hahn, autant elle s’avère efficace pour ces Chevaliers. Christophe Grapperon entraîne les douze instrumentistes des Brigands avec beaucoup d’énergie, trop parfois. Néanmoins, l’essentiel est qu’il soit ainsi prouvé qu’Hervé peut revivre ; d’autres viendront peut-être, qui le prouveront de façon moins violente mais tout aussi convaincante.