La reprise d’Idoménée de Mozart au Palais Garnier, dans la mise en scène de Luc Bondy, semblait marquée le soir de la première par on ne sait quel mauvais augure. Malgré les deux derniers actes qui décollent enfin, le spectacle tient vite du pensum. On a l’impression d’une production en fin de parcours, essoufflée qui n’a plus grand-chose à dire. Emmanuelle Haïm et son Concert d’Astrée, un instant prévus avec des artistes comme Villazón et Netrebko, lui auraient sûrement redonné une seconde vie. Mais voilà : Emmanuelle Haïm a été remplacée, les derniers jours de répétitions, par Philippe Hui. Une mésentente grave avec les musiciens aurait conduit à cette décision. Rien de tel pour déstabiliser un spectacle.
Sur le plateau, les chanteurs habitués, par des semaines de répétitions, à des tempi, des dynamiques, des couleurs et un style spécifiques doivent s’adapter, in extremis, à un nouveau chef qui tente, à son tour, de s’adapter à eux. Résultat : personne n’est à l’aise, les décalages guettent à tout moment et le malaise gagne vite les spectateurs.
Dès l’ouverture, pesante et sans caractère, l’ennui pointe déjà. Le chef fait sans doute ce qu’il peut mais les musiciens eux-mêmes sont mal à l’aise : hésitations, pas de cohésion, pupitres hésitants (les cors, par exemple). La technique aussi se met de la partie : rideaux bloqués, appuyés au mauvais moment… Or Idoménée est une œuvre difficile, qui ne souffre pas de l’à peu près, au risque de devenir banale et assommante. La musique est souvent sublime, mais il ne faut surtout pas retomber stylistiquement, comme c’est le cas, dans des ornières qu’on pensait reléguées aux oubliettes.
La mise en scène de Luc Bondy bénéficie d’un décor superbe d’Erich Wonder (le spectacle se passe sur une plage face à la menace constante des cieux et de la mer), et des éclairages intenses de Dominique Bruguière, mais elle ne parvient pas à impliquer le spectateur dans le drame qui se joue. Dès lors, la musique et les chanteurs portant le spectacle à eux seuls, l’œuvre requiert des personnalités d’exception.
Tamar Iveri est une belle Electre et domine la distribution : une voix timbrée, ductile, qui a du caractère et qui interprète l’air redoutable de la fin avec beaucoup d’aisance. Charles Workman, qu’on a surtout connu dans des rôles plus légers où ses demi-teintes font merveille, négocie avec vaillance la tessiture et la largeur du rôle redoutable d’Idoménée. Le public salue l’exploit avec chaleur. Isabel Bayrakdarian est une Ilia touchante et la première scène du troisième acte la met bien en valeur (« Zeffiretti lunsighieri »). Par contre Vesselina Kasarova semble n’être plus que l’ombre d’elle-même : sons par en dessous, coups de glotte intempestifs, intonation et justesse mises à mal, ligne de chant et legato inexistants. Pour compenser, elle surjoue en permanence et frise le ridicule.
De belles étincelles musicales : les récits accompagnés avec beaucoup d’imagination par Benoît Hartouin au pianoforte et les chœurs, en particulier celui des Troyens et Crétois au premier acte qui répond à de jeunes solistes à la voix claire et à la technique saine et dont le visage rayonne (ouf, on respire !). Il y a aussi la découverte d’un jeune ténor qui chante pour la première fois à l’Opéra de Paris : Lothar Odinius. Il interprète le rôle d’Arbace avec une émotion et une sincérité qui vont droit au coeur. Son air du troisième acte fait merveille : voix belle et ample, très souple, avec des aigus brillants et faciles (c’est un air plus périlleux et virtuose qu’il n’y paraît), et une présence en scène qui parvient enfin à émouvoir, entrainant les deuxièmes applaudissements depuis le début de la soirée : c’est dire l’atmosphère dans la salle !
Dans la deuxième partie, là où Mozart est au sommet, la mise en scène de Luc Bondy se met soudain à vivre et la musique retrouve ses droits. La scène du grand prêtre, bien chantée par Xavier Mas, est superbe et l’orchestre l’accompagne avec de belles couleurs.
Aux saluts, les applaudissements ne font pas long feu, le chef récolte quelques désapprobations et les chanteurs sont accueillis avec sympathie.
A Aix l’an passé, Idomeneo n’avait guère convaincu non plus. Son aspect éminemment théâtral avait pourtant impressionné, lors de la création, car il allait bien au-delà des limites imposées par l’opera seria dont il est issu. Qui saura donc enfin donner vie à cette œuvre ?