Nous ne reviendrons pas sur l’excellente présentation historique et musicale de Bernard Schreuders publiée à l’occasion des récentes représentations à l’Opéra Comique, mais plutôt sur ce qui sépare cette production des Fêtes vénitiennes de la résurrection d’un autre genre pratiquée par William Christie, Jean-Marie Villégier et leurs décorateurs pour Atys (voir le compte rendu de Marcel Quillévéré. En effet, on avait avec Atys une éblouissante recréation historique ; ici, au contraire, se mêlent des éléments contemporains à l’évocation du carnaval de Venise. Est-ce à dire pour autant que la lettre et l’esprit soient trahis ?
Plus que celle de Lully, la musique de Campra peut parfois sembler un peu répétitive, et l’argument bien léger. Tout l’intérêt du jeu scénique est donc d’apporter à la représentation une variété et une vie irrésistibles. Il faut dire que, comme à son habitude, Robert Carsen parsème sa mise en scène de décalages et de transpositions, jusqu’à la dernière entrée, où le « théâtre dans le théâtre » qu’il affectionne tout particulièrement trouve ici, une fois de plus, toute sa justification. Ce n’est pas pour autant que la « lettre » ne soit pas respectée : le texte est scrupuleusement suivi, les situations sont toujours parfaitement justes, et les contrepoints modernisés des costumes tout à fait en situation. Mais « l’esprit » prédomine aussi, et jamais on n’en a été si près, plus encore peut-être que dans l’Atys historique cité ci-dessus. En effet, l’opéra-comédie-ballet règne bien ici en maître, y compris avec une figure gigantesque échappée du carnaval et un homme volant à la dernière entrée ; mais lorsque des éléments incongrus, voire modernes, apparaissent ici et là, ils nous rappellent simplement qu’à l’époque de la création aussi, les spectateurs avaient à voir leurs contemporains.
Certes, on a vu mille fois un groupe de touristes déambuler en début d’opéra, mais ici, ils prennent à bras le corps les personnages, jusqu’à endosser leurs costumes sur scène. Commencent alors des échanges variés fondés sur le texte, qui mettent en valeur les dons d’acteurs de chacun. Car, comme le souligne William Christie, « Les dialogues sont pleins d’esprit, drôles, voire galants et libertins. Danchet ménage aussi des moments plus graves où s’épanchent de vraies émotions. Cette variété dans la sensibilité est une marque de la comédie à l’époque. » De fait, même si l’émotion et le sentiment sont toujours sous-jacents, sexe et humour font ici bon ménage, et l’on rit beaucoup dans cette production foisonnante. Le ballet des gondoliers et celui des moutons, notamment, donnent à la salle l’occasion de rire franchement, alors qu’à d’autres moments c’est le sourire qui l’emporte.
© Vincent Pontet
La direction musicale de William Christie est comme toujours irréprochable, et toute l’équipe d’instrumentistes, de danseurs et de chanteurs forment une troupe remarquable. Le plateau est en effet éblouissant de jeunesse, de rigueur et d’adéquation scénique aux intentions de Carsen jusqu’à y compris les saluts, réglés comme un ballet supplémentaire. L’équilibre musical des chanteurs est également parfait, même si Marc Mauillon domine quelque peu l’ensemble de la distribution. À côté toutes les valeurs sûres que nous connaissons bien : Emmanuelle de Negri, Reinoud van Mechelen et François Lis, sans oublier la Caennaise Elodie Fonnard (marraine 2015 de « Tous à l’Opéra », Caen 9 et 10 mai), qui se retrouve ici « sur ses terres » et offre à son public une magnifique prestation. Seul petit bémol : sans les surtitres, on comprend un peu difficilement ce que disent certains chanteurs, qui se contentent d’émettre une ravissante bouillie sonore. Problème d’acoustique de la salle ? Il semblerait qu’à l’Opéra Comique, pourtant peu réputé dans ce domaine, le verbe soit beaucoup mieux passé.