Salué le mois dernier par la critique (dont nous faisions partie1), Le Trouvère, transplanté en version de concert de l’Opéra de Bordeaux au Théâtre des Champs-Elysées, n’a pas résisté au voyage. Emmanuel Joel-Hornak a-t-il manqué de temps – et de répétitions – pour prendre la mesure de la salle ou a-t-il voulu gonfler le son de peur que l’on n’entende pas assez l’orchestre enfoui dans la fosse ? Dans un espace plus vaste que celui du Grand-Théâtre, sa direction, qui en Aquitaine nous était apparue comme un modèle d’équilibre, semble avoir perdu tout repère acoustique. Avec des cuivres surexposés et des percussions encombrantes, la partition de Verdi ronfle bien plus qu’elle ne brille de ce sombre éclat qui lui vaut d’être qualifiée de nocturne. Jusqu’aux chœurs, irréprochables sur la scène du Grand-Théâtre, qui au TCE font assaut de décibels, sans souci de nuances, avec quelques décalages malvenus, notamment lors du final de la 2e partie.
La comparaison entre Paris et Bordeaux s’arrêtera là. Excepté le Ferrando de Wenwei Zhang, toujours aussi peu leste dans un rôle qui exige une basse autrement libérée, c’est la première distribution qui est présentée aux parisiens (alors qu’en avril dernier, nous avions applaudi la deuxième). On a tout de même du mal à croire qu’à Bordeaux le déséquilibre sonore entre protagonistes masculins et féminins était aussi patent. D’un côté, un baryton et un ténor dont l’héroïsme n’est pas la première des qualités et de l’autre, une soprano et une mezzo qui ont de la puissance à revendre, le tout face à un orchestre démonté.
Il n’en fallait pas autant pour ébranler Giuseppe Gipali qui, en Manrico, n’a qu’un beau métal à faire valoir. Pour l’éclat de « Ha quest’infame l’amor venduto », la vaillance de « Di quella pira » et même la poésie de « Ah si ben mio » où l’on espérait que le ténor pourrait s’épanouir davantage, on repassera.
Plus inspiré, Alexey Markov expose le meilleur de son chant dans sa cavatine, « Il Ballen del suo sorriso ». Enfin de l’émotion servie par un timbre séduisant, un sens du phrasé et une large palette expressive. Malheureusement, écrasé par ses partenaires dans les ensembles, le baryton finit sur les rotules à force d’efforts pour se faire entendre, balayé par une Leonora qui, pour avoir consommé du poison, n’en affiche pas moins une santé vocale éclatante.
Elza van den Heever est-elle pour autant ce grand soprano verdien, encore épris de bel canto, que l’on appelait de nos vœux ? Non, la voix, trop droite, refuse de se plier à une écriture qui en surligne les duretés et les inégalités. De cette Leonora anthropophage, on ne retient qu’un « Miserere » flatteur pour le medium et surtout un « Prima che d’altri vivere » où la chanteuse atteint enfin l’intensité que son Compositeur, toujours à Bordeaux en février dernier, nous avait fait plus longuement espérer2.
Reste, comme une énigme, le cas d’Elena Manistina qui en Azucena nous semble avoir cumulé toutes les erreurs à ne pas commettre : sons grossis, excès de poitrinage, notes tenues plus que de raison, registres disjoints, effets histrioniques… Pourtant, au moment de saluts, c’est à elle qu’un public enthousiaste réserve la plus large part de ses applaudissements. Allez comprendre.