Curieuse histoire que celle de cette opérette très populaire jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, puis perdue dans la routine et les distributions de second ordre, avant que de réapparaître récemment à l’Opéra Comique dans la mise en scène à la fois déjantée et un peu guindée de Jérôme Deschamps. Rien dans cette œuvre ne nous concerne vraiment aujourd’hui, pas de réflexion existentielle, les ressorts théâtraux sont des plus communs et bien datés qui se déroulent dans le monde des couvents et des pensionnats de jeunes filles. Tout au plus peut-on y voir un brin d’anticléricalisme gentiment subversif. Bref, rien de bien nouveau ni de bien affriolant, ne serait la musique de Varney qui a gardé son entrain communicatif, avec notamment deux « tubes », « Eh ! oui, c’est moi l’abbé Bridaine », et « Pour faire un brave mousquetaire ».
Alors, n’était-ce pas mission impossible que d’essayer de ressusciter cette opérette dans sa forme traditionnelle ? Pari pourtant gagné haut la main par la troupe Divinopéra, qui met en œuvre des recettes simples mais efficaces. D’abord une distribution sans failles et bien équilibrée de chanteurs-acteurs-danseurs qui se donnent à fond pour la plus grande joie des spectateurs, ensuite une adaptation du texte parlé en alexandrins façon Edmond Rostand, qui en corrige paradoxalement le côté suranné en lui apportant un second degré humoristique. Car pour le reste, pas de transposition, hormis les demoiselles du pensionnat qui sortent toutes leur portable pendant les cours, et l’inénarrable Be-Bop mené à la fin du deuxième acte par Narcisse de Brissac avec la mère supérieure. Le respect de l’œuvre originale est donc total, illuminé par les très jolis costumes de Madeleine Nicollas.
© Photo Alain Argaud
Le personnage de Narcisse de Brissac est évidemment un rôle en or, que Cédric Le Barbier s’approprie avec autant de gourmandise que de talent. Il est vif, drôle et toujours en situation, dépensant sans compter une énorme énergie sans que cela affecte en rien les qualités vocales d’une belle voix de baryton. Sa compagne en devenir, Louise de Pontcourlay, est jouée fort drôlement par Virginie Marry, élève dissipée façon Mam’zelle Nitouche, qui chante également fort bien. Les tourtereaux Marie de Pontcourlay (Marie Cordier) et Gontran de Solanges (Olivier Montmory) ont évidemment des rôles d’amoureux plus convenus, qu’ils interprètent joliment, faisant ressortir de charmants moments d’émotion en chantant parfaitement bien leurs romances « Mon Dieu, que mon âme incertaine » et « Il serai vrai ! ce fut un songe », qui font indéniablement penser à Gilbert et Sullivan.
On retrouve avec plaisir Marie Saadi, qui outre son action pour la redécouverte de ce répertoire trop oublié, campe une truculente Simone menant son monde à la baguette. L’abbé Bridaine d’Hugues Blunat est particulièrement atypique, et lui aussi, comme tous les autres, a la voix idéale du rôle. Une mère supérieure fort drôle (Marie-Caroline Husson), qui serre parfois d’un peu près son abbé, une sœur Opportune (Caroline Duliège) bien dans la tradition, et un gouverneur de Touraine (Jean-Philippe Poujoulat) plutôt original, parachèvent cette belle distribution, que complètent de très bons comparses.
L’orchestre, composé d’une dizaine d’excellents musiciens, est mené avec finesse par Romain Dumas qui sait être attentif au plateau tout en conservant des tempi soutenus. Le chœur est d’une grande clarté, en même temps que d’un grand naturel, là où tant d’autres paraissent empruntés. L’ensemble, frais, dynamique et drôle, doit beaucoup à la direction d’acteurs et à la mise en scène d’une grande efficacité d’Emmanuel Gardeil. On passe vraiment une excellente soirée.