Maintenant fréquemment offertes au public, souvent enregistrées et produites au concert, les Vêpres de Monteverdi posent toujours les questions relatives à leur organisation, à leur destination, ainsi qu’aux raisons qui motivèrent leur publication.
Les huit parties publiées en 1610 par Amadino attendirent 1744 pour que le Padre Martini édite l’Agnus Dei en partition dans son célèbre traité de contrepoint. Ce n’est qu’en 1932 que Malipiero réalisa la première édition « moderne » de la totalité de l’ouvrage. Sans doute synthèse d’une production s’échelonnant sur plus d’une dizaine d’années, les styles en sont mélangés, depuis la messe-parodie sur un motet de Gombert, relevant d’une tradition vieille d’un siècle (stile antico), aux quelques petits concerts sacrés, de la seconda pratica, en passant par les psaumes des vêpres mariales (stile concitato). La présence de deux Magnificat (l’un avec instruments, l’autre avec basse continue) confirmerait s’il en était besoin que les volumes n’ont pas été conçus pour être exécutés dans l’intégralité de leur contenu. Elle atteste la notion de recueil, dans lequel chacun puise en fonction des circonstances et des moyens. Jouer l’ensemble tel qu’édité est une attitude moderne qui oublie sa destination, démonstration du savoir-faire, et recherche d’une position plus gratifiante d’un compositeur alors inconnu, franchies les fortifications de Mantoue. A la différence de l’Orfeo, le recueil s’inscrit dans la tradition et l’actualité liturgique de ce début du XVIIe S. Les procédés d’écriture, l’usage des voix comme des instruments sont attestés avant Monteverdi. Il est cependant le premier à les synthétiser dans un seul recueil, magistral.
Ainsi, destinées à l’église comme à la chambre, les pièces autorisent de multiples approches. Celle de Bruno Boterf et de son ensemble Ludus modalis dérange les auditeurs accoutumés aux réalisations les plus somptueuses. En effet, il reconstruit un office, sans instruments concertants, en confiant la réalisation à ses douze chanteurs (à un ou deux par partie), au continuo (claviorganum, théorbe et viole de gambe) et à deux sacqueboutes. Les spécialistes pourront ergoter sur l’opportunité de l’introduction de litanies mariales – contemporaines – de Frescobaldi. Les psaumes sont encadrés par les antiennes correspondantes. Le Magnificat final, à six voix, sera de belle tenue, sans faire oublier pour autant les « grandes » versions. Documentée, cohérente, la proposition est convaincante, marquée par une recherche d’unité stylistique, qui estompe quelque peu ce qui distingue les écritures.
Eva Zaïcik, dans les Vêpres de Monteverdi © YB
Réunis au Théâtre Olympe de Gouges de Montauban, seul lieu apte à concilier jauge et exigences sanitaires, les musiciens, privés d’activité et de public durant de longs mois, connaissent le bonheur de la reprise. Leur familiarité à ce répertoire est manifeste, même si certains changements ont été opérés depuis leur enregistrement (Ramée, 2018). D’emblée, la présence rayonnante d’Eva Zaicik éclaire le Dixit Dominus, tout en se fondant dans l’ensemble. Anne Magouët, avec laquelle elle dialogue fréquemment est dans son élément. Bruno Boterf et Hervé Lamy seront leurs équivalents ténors. La place fait défaut pour citer chacune et chacun : disons simplement que la distribution est sans faille. Tout juste peut-on regretter une exécution trop française (trillo, gruppo) de certains passages du chant monteverdien. L’articulation du texte est telle qu’en dehors de ceux connus (Dixit Dominus, Nigra sum…Magnificat), sa compréhension n’est pas constante. Mais ce sont là des détails qui n’altèrent pas vraiment le plaisir de l’écoute. Le chœur est d’une rare souplesse, homogène, coloré, et les instruments se montrent exemplaires, ceux du continuo, bien sûr, mais aussi nos deux sacqueboutiers, dont le chant se confond souvent avec les voix. L’expression, renouvelée à souhait, suffit à captiver un public conquis. Une nouvelle approche que l’on a grand plaisir à découvrir.