Le retrait progressif des scènes d’opéra de Felicity Lott n’a échappé à personne : l’artiste n’a cependant pas l’intention d’interrompre sa carrière comme nous le rappelle le nombre élevé de prestations qu’elle continue à donner. Forte de l’accueil plus que favorable réservé à son dernier album paru chez AEON, consacré à Mahler et à Wagner, la diva britannique a décidé de promener le programme réalisé avec le Quatuor Schumann. Après Prades cet été, le Musée d’Orsay a été choisi par ces musiciens le 25 septembre, soir de l’inauguration du nouveau cycle intitulé « L’art de l’accompagnement vocal ».
Débuté par un magnifique mouvement tiré d’un quatuor en la mineur de Mahler, malheureusement inachevé, joué avec goût et sensibilité, Felicity Lott est ensuite apparue, radieuse, pour interpréter les Rückert-Lieder, transcrits pour voix et quatuor avec piano, par Christian Favre. Comme en studio, la cohésion musicale s’impose dès les premiers accords. Le tapis sonore déployé par les instrumentistes, permet à la cantatrice de poser sa voix toujours aussi ductile et soyeuse et de s’y fondre avec naturel et sérénité. Ainsi portée, l’artiste semble se laisser capturer pour mieux libérer sa pensée, donner libre court à son imagination et révéler ainsi une expressivité jamais prise à défaut. Technicienne imparable, Felicity Lott est une poétesse aguerrie, qui sait faire palpiter les mots et frémir avec eux (Ah ! Cette façon unique de prononcer « Ich atmet’ einen linden luft »…).
Alors que Mahler transposa certains de ses lieder du piano à l’orchestre, de nombreux compositeurs n’ont pas hésité à orchestrer les Wesendonck-Lieder de Wagner, de Felix Mottl à Hans Werner Henze. Le passage à un format de chambre est une merveilleuse réussite. Avec un instrument plus sombre, dû à une position plus basse, Lott réussit un exploit auquel nous n’aurions jamais cru il y a quinze ans. Le style, le phrasé, la respiration sont là, sans cesse relancés par une interprétation où la lucidité (« Stehe still »), laisse la place à l’onirisme (« Traüme »), ou à la sensualité (« Im Treibhaus »). Point culminant de ce concert, le prélude de Tristan et Isolde, peut être un peu moins plongé dans l’inquiétude qu’au disque, un soupçon moins soigné dans la conduite de la narration, était suivi par une enivrante mort d’Isolde. Un léger regret, l’accélération du tempo et l’augmentation du niveau sonore de l’ensemble, qui ont forcé la cantatrice à donner de la voix (et du coffre), avec pour conséquence une altération de l’atmosphère éthérée et extatique qu’elle peut atteindre. En bis un « Morgen » de Strauss, tout simplement poignant.
Un miracle n’arrivant jamais seul, Felicity Lott était une fois encore l’invitée du Musée d’Orsay, le 2 octobre, pour un récital accompagné par Graham Johnson. Initialement prévues pour être jouées avec Marc Minkowski et Les Musiciens du Louvre il y a deux saisons, la cantatrice a finalement décidé d’aborder Les Nuits d’été de Berlioz au piano. Donné dans sa tonalité originale (et donc non transposé comme cela se pratique souvent), ce cycle mythique, sur des poèmes de Théophile Gautier, lui a permis d’ajouter un joyau supplémentaire à sa couronne. Avec une voix aussi malléable, aussi fluide et rayonnante, chaque poème est immédiatement différencié et contraste avec le précédent. A la légèreté de « Villanelle », succède le spectre ondoyant d’une rose odorante, au désespoir causé par la mort d’un être cher, répondant l’appel du large.
Disons le sans hésitation, on a rarement entendu Nuits d’été si subtilement construites, un cycle appréhendé comme un tout certes, mais où chaque partie possède sa propre identité, si musicalement accomplies, en terme de tempo et de dynamique et si techniquement restituées (quel souffle, quel contrôle de la ligne et quels pianissimi, notamment sur les périlleux « Reviens, reviens ma bien aimée » d’ « Absence »). Il ne s’agit plus de poèmes, mais de véritables histoires condensées, auxquelles nous sommes conviés et que l’on nous conte à l’oreille. Ce festival de poésie sonore, rehaussé par le piano magnétique de Graham Johnson, était complété par quatre mélodies de Chausson, dont une « Chanson perpétuelle » et un « Temps des lilas » à fendre l’âme, suivis par des « Ariettes oubliées » de Debussy d’après Verlaine – d’une extrême difficulté – qui semblaient couler de source en sortant de cette bouche magique, au timbre enchanteur.
En bis, un second « Green » de Fauré cette fois, puis en guise d’au revoir, « Votre âme est un paysage choisi » de Debussy, lumineux. Deux moments d’exception. Prochain rendez-vous le 12 novembre à la Maison de la Radio, pour une création de Régis Campo.
François Lesueur