Depuis son Belmonte au festival d’Aix-en-Provence l’été dernier, Daniel Behle n’a pas chômé sur les scènes d’opéra, avec notamment trois prises de rôle, lourds (Erik du Vaisseau fantôme, Flamand dans Capriccio) ou moins lourds (Ferrando à Londres). Il ne s’est pas pour autant éloigné de l’univers du lied qui lui est cher, tant comme interprète que – on le sait moins – comme compositeur.
C’est précisément pour un récital de lieder que le festival de Bad Kissingen l’a invité cette année, avec le pianiste norvégien Sveinung Bjelland. Dans le cadre plus intime de la Salle Rossini, le ténor a proposé un programme exigeant, de près d’une heure et demie de chant, deux blocs à peine séparés par un intermède pianistique et un entracte. L’exécution des Trois intermezzi de Brahms permet de goûter à découvert tout le raffinement du jeu de Sveinung Bjelland, dont l’immense délicatesse était déjà perceptible dans l’accompagnement des lieder.
Pour cette première partie du concert, c’est les yeux fermés que Daniel Behle entame son interprétation du Dichterliebe de Schumann. Prestation extrêmement intériorisée, donc, pour ces seize poèmes de Heinrich Heine où le ténor semble parvenir à changer de voix aussi souvent que l’on change d’atmosphère, de la douceur initiale de « Im wunderschönen Monat Mai » à l’humeur sombre de « Ich grolle nicht », en passant par la fébrilité de « Die Rose, die Lilie, di Taube, die Sonne ». Une fois le cycle terminé, Daniel Behle se laisse choir sur une chaise, comme terrassé par une performance où il s’est engagé à fond.
Après l’entracte, c’est les yeux grands ouverts, et le nez chaussé de lunettes, que le ténor revient pour le Schwanengesang, qui inclut quelques-unes des pages les plus célèbres de Schubert. Pourtant, ce n’est pas parce qu’il a la partition devant lui que Daniel Behle s’engage moins, bien au contraire : chaque lied est véritablement joué comme une scène d’opéra, et le chanteur exploite toute sa palette d’acteur, tout en prodiguant une infinité de nuances. « Abschied » guilleret, « Aufenthalt » quasi expressionniste : pas la moindre routine ici, Daniel Behle donne tout, renouvelant sans cesse les couleurs de sa voix, avec un résultat qui laisse pantois. Dommage seulement que la voix se dérobe dans le grave, les notes les plus basses, très sourdes, se limitant à un son parlé plus que véritablement chanté.
Chaleureusement acclamé au terme de ce récital, le ténor accorde au public un bis. Très loin de l’exaltation des compositeurs romantiques, c’est une chanson des années 1930 qui nous est offerte : « Kleine Möwe, flieg nach Helgoland », la composition la plus connue de Jim Cowler, jadis immortalisée par des acteurs comme Hans Albers ou Curd Jürgens. Cette histoire de « petite mouette » qui survole les îles d’Heligoland figurera dans le prochain disque de Daniel Behle, sans doute dans ce programme conçu autour de la ville de Hambourg, dont il nous parlait l’an dernier. Instant de détente après ce grand moment de concentration que fut le concert, voilà un titre qui ne se chante ni avec des lunettes, ni les yeux fermés…