Que c’est mauvais signe, quand on arrive devant le théâtre, et qu’il y a des dizaines et des dizaines de personnes qui essaient, sans succès, de revendre leur place !
Angela Gheorghiu, qui avait assuré la première deux jours plus tôt (insigne honneur fait à Munich), devait chanter ce soir. Elle a annulé « pour raison de santé ». Comme on n’a pas d’état global de ses prestations maintenues, il est difficile de confirmer ou d’infirmer qu’elle semble être devenue championne du monde toutes catégories des annulations ; mais il vaut mieux dorénavant éviter de miser sur elle. Elle est remplacée ce soir par Myrtò Papatanasiu ; et elle devait être remplacée dans deux jours par la cantatrice maison Anja Harteros, qui elle-même a déclaré forfait et sera remplacée par Elaine Alvarez qui, à force de remplacer Gheorghiu et les autres, s’est forgée en à peine plus d’un an de carrière une réputation de vedette internationale.
The show must go on… Ce soir, pas de chance, c’est donc Myrtò Papatanasiu qui est notre Violetta. Le premier acte est calamiteux : cris sans chuchotements, pour ne pas dire hurlements, justesse incertaine, voix instable, elle faisait penser à l’effroyable Larisa Gogolevskaya qui fut la dernière Lady Macbeth de l’opéra Bastille. Et puis la voix se chauffant (et peut-être le trac de ce remplacement au pied levé disparaissant), les choses s’améliorent un peu vocalement parlant, non sans que nombre de petites notes ne soient allègrement savonnées, et que tout suraigu écrit ou non ne soit soigneusement écarté. Et après quelques jolies notes allégées, tous les défauts reviennent dans son dernier air chanté à pleine voix. Quant à l’interprétation, elle est restée à un grand niveau de médiocrité : vulgarité totale au premier acte où elle arpente sans cesse la scène en ondulant du derrière (pour faire grande classe sans doute ?), utilisation de gestes stéréotypés, absence de caractérisation du personnage (à la fin, elle fait Lucia), absence totale d’émotion (quand on a envie de se boucher les oreilles, ça n’aide guère à être gagné par une émotion qui, de toute manière, reste factice). Et il paraît qu’elle va chanter Donna Anna à Macerata…
Jonas Kaufmann était Alfredo. L’enfant chéri des Munichois est beau gosse et affiche la décontraction virile mise à la mode par Rolando Villazón : les mains dans les poches, chantant en marchant, en courant, en lançant l’escarpolette, il est scéniquement un des plus plausibles Alfredo qui soient, encore que, côté émotion, on reste là aussi sur sa faim. Et vocalement ? Disons-le tout net, Alfredo n’est pas pour lui, c’est un non sens. La voix est belle mais un peu lourde et engorgée, ce qui l’empêche de faire par exemple les triolets dans le Brindisi : ce n’est pas la voix « lumineuse » et claire que l’on attend, à laquelle nous ont habitués – entre autres – les Kraus et Pavarotti. Son interprétation est par ailleurs trop germanique et puis, en plus, il se trompe de répertoire et, à deux reprises, hésite entre Le Trouvère et une chanson napolitaine… Le père Germont de Simon Keenlyside est plutôt bien chanté (un peu bas au début), bien dans la tradition des grands barytons verdiens. Mais également trop monolithique : au bout d’un moment, on se prend à penser à autre chose, par exemple que c’est vraiment une drôle d’idée qu’il a eue de traîner derrière lui la malheureuse sœur d’Alfredo : la voir aussi empruntée et gênée n’ajoute rien au texte !
La mise en scène de Günter Krämer est pleine d’autres poncifs et de déjà vu, sans aucune invention. Replacée dans les années 1920 avec des costumes approximatifs, elle montre par exemple la bonne société jouant au petit train et à la farandole au premier acte, un prestidigitateur de série répétant inlassablement le même tour de cartes pendant que les chœurs s’égosillent, un grand lustre qui s’allume au-dessus de la table de jeu, et enfin, signe de la déchéance finale, le même lustre brisé à terre à côté d’une Violetta qui agonise sur un grabat. Mais elle trouve encore la force de se relever et d’aller, en diagonale à travers la scène vide, vers la lumière de la vie éternelle (que de fois n’a-t-on pas vu cet effet depuis que le Teatro Stabile de Turin l’avait mis à la mode au début des années 60 ?), et avant que de s’effondrer en écartant une dernière fois les jambes (en suivant les indications du metteur en scène, ou est-ce moi qui ai vraiment l’esprit mal placé ?).
Aucune invention, aucune émotion vraie, c’est ce qui peut également caractériser la direction d’orchestre de Keri-Lynn Wilson, d’une platitude à toute épreuve et vraiment sans aucun intérêt, simplement le travail appliqué d’une médiocre étudiante en direction d’orchestre.
La presse nous avait promis du Champagne, on aura tout juste eu de la limonade éventée : on aurait trouvé tout ça très bien au casino de Canardville (Munich fêtait justement cette semaine les 75 ans du toujours jeune Donald), mais pas au Staatsoper de Munich. Une soirée perdue ? Allez, quand même un cœur pour Jonas.