Qui a permis de redécouvrir Galathée, opéra-comique de Victor Massé ? Qui a réveillé la partition de Nausicaa, de Reynaldo Hahn ? Qui a révélé Brocéliande, conte féerique d’André Bloch ? Ou l’opérette Claudine, de Rodolphe Berger ? Qui s’est fait le défenseur de toutes ces partitions françaises sombrées dans l’oubli ? Et mieux encore, qui a fait tout cela avec un budget dérisoire ? C’est bien simple : la Compagnie de l’Oiseleur. Vous ne connaissez pas ? On doit pourtant à l’Oiseleur des Longchamps tout ce travail formidable mais hélas encore trop confidentiel, travail qui fait véritablement de sa compagnie un autre « Centre de musique romantique française », puisqu’il défend, somme toute, le même répertoire que l’illustre et bien doté Palazzetto Bru Zane.
En ce mois de décembre, la Compagnie de l’Oiseleur propose coup sur coup plusieurs concerts, qui devraient faire accourir tous les amateurs de raretés. Ce mardi 5, le Temple du Luxembourg, modeste chapelle protestante située à deux pas du Jardin du Luxembourg, proposait L’Inde, « ode-symphonie » (merci, Félicien David) de Jean-Baptiste Weckerlin, plus connu pour son harmonisation de bergerettes du XVIIIe siècle, mais qui fut aussi un compositeur à part entière.
Ladite ode-symphonie étant d’une durée de moins d’une heure, il avait été décidé d’offrir en préambule quelques mélodies émanant d’une inspiration comparable. Certes, Christophe Colomb fut le premier à faire l’erreur, mais on relèvera que le fameux « Indian Love Call » tiré de Rose Marie, de Friml et Stothart (1924), renvoie aux Indiens « peau-rouge » et non à l’Asie. Qu’importe, finalement, puisque ces compositeurs occidentaux ont tous un peu puisé dans le même fonds exotique assez limité et guère soucieux d’authenticité géomusicologique. De ce prologue, on retient surtout la très orientaliste « Aubade » de Pierné, et deux pages dues à Herman Bemberg (1859-1931), élève de Massenet qui gagnerait à être moins inconnu.
Vers l’Orient compliqué, Jean-Baptiste Weckerlin vola en 1873 avec des idées simples. Comment évoquait-on l’Inde lorsqu’on était un compositeur français du XIXe siècle ? Avec des ostinatos martelés, quelques syncopes et beaucoup de mélismes, que l’on employait pour représenter un territoire allant du Maroc jusqu’à l’Himalaya, bien sûr. Mais Massenet dans Le Roi de Lahore en 1876 et Léo Delibes dans Lakmé en 1883 ne feraient pas autrement. Il n’en reste pas moins que L’Inde est une partition séduisante, très « opéra-comique » dans son style, puisque le livret échafaudé grâce à un invraisemblable collage de poèmes (dont « La Captive », de Hugo, immortalisée par Berlioz) nous conte les amours de Naouna – à un M près, ce serait l’héroïne de Musset qui devait inspirer en 1882 un ballet à Lalo – et de Telasco – le Nelusko de L’Africaine n’avait même pas dix ans de scène à l’époque, amours contrariées par l’émir Lakmana…
Pour défendre cette musique, l’Oiseleur des Longchamps a une fois de plus eu du nez, en recrutant quelques belles et intéressantes voix. La voix ample de Catherine Manandaza a eu plusieurs l’occasion de faire forte impression, en Norma à Paris en début d’année ; cette opulence de moyens est presque à l’étroit dans l’œuvre de Weckerlin, qui sollicite peu la voix de soprano. Naouna est ici confiée à Mayuko Karasawa ; bien que plus familière de la musique du siècle précédent, la mezzo japonaise n’a aucun mal à camper une héroïne touchante. Et puis il y a des ténors, des vrais ! Aperçu dans un petit rôle dans Didon et Enée, Sahy Ratianarinaivo offre à Telasco une voix superbe, ferme mais agile, dont chacune des nombreuses interventions est un régal. Timbre plus léger, Florent Zigliani avait eu dans les deux dernières mélodies du préambule les occasions de briller que Weckerlin ne lui offre guère. Maître d’œuvre, l’Oiseleur des Longchamps s’est modestement réservé le rôle du récitant (en mélodrame, comme dans Le Désert de Félicien David) et celui, plus épisodique, du méchant Lakmana. Et tous ces solistes unissent leurs forces pour interpréter aussi les chœurs, toujours admirablement soutenus par la pianiste Mary Olivon, qui leur a également servis de chef de chant.
Maintenant, il vous reste plusieurs choses à faire. Premièrement, la Compagnie de l’Oiseleur a le projet d’enregistrer cette œuvre, avec un orchestre et des chœurs : avis aux mécènes. Deuxièmement, elle interprètera d’autres pages de Weckerlin le dimanche 10 décembre au Musée Henner, dans le cadre d’une journée consacrée aux compositeurs alsaciens. Enfin, elle propose le 20 décembre, toujours au Temple du Luxembourg, La Belle au bois dormant, féerie musicale de Guy de Lioncourt (1915). Et vous hésitez encore ?