La foule se presse nombreuse devant la salle Pleyel pour applaudir Sonya Yoncheva, nouvelle coqueluche des lyricomanes parisiens depuis son triomphe en début de saison à l’Opéra Bastille dans Lucia di Lammermoor (voir compte rendu). Pour son premier concert dans la série des Grandes Voix, la soprano bulgare dévoile une nouvelle facette de son talent en proposant un récital tout entier dédié à Haendel avec la complicité de Nathalie Stutzmann et de son ensemble Orfeo 55.
Le programme, largement entrecoupé de pages orchestrales, s’articule principalement autour de deux héroïnes majeures de l’opéra haendélien: Cléopâtre et Alcina. Très élégante dans une somptueuse robe noire, Sonya Yoncheva subjugue le public dès son premier air, « Non disperar chi sa », chanté avec ce qu’il faut de mutinerie et de sensualité dans la voix. Une voix ample, comme on a perdu l’habitude d’en entendre dans ce rôle, qui emplit sans difficulté le vaste vaisseau de Pleyel. Après un « Care selve » de haute tenue, servi par un legato impeccable et de jolies nuances, la première partie s’achève avec « Se pietà di me non senti ». Cette page, imprégnée de mélancolie, dans laquelle le timbre pulpeux de la cantatrice s’épanouit librement, déclenche le délire dans la salle.
Après l’entracte, l’extrait d’Agrippina, tout en délicatesse et légèreté tranche avec les deux airs d’Alcina dans lesquels la chanteuse se hisse sans peine a niveau des plus grandes titulaires du rôle. « Ah mio cor » est interprété avec un style accompli et une émotion contenue et, en fin de programme, le redoutable « Ombre pallide » ne pose aucun problème majeur à Sonya Yoncheva qui se joue sans peine des difficultés que présente cet air. Tout au plus pourrait-on regretter que la messa di voce au début de la reprise soit à peine esquissée, une peccadille en comparaison de ce qu’elle offre par ailleurs dans cette page qu’elle aborde en véritable tragédienne avec de surcroît un régistre grave soutenu. Le public exulte au point que la cantatrice redonnera deux des airs de son programme en plus du bis prévu initialement, un superbe « Lascia ch’io piango », au demeurant.
Nathalie Stutzmann se montre attentive à son interprète, secondée par son ensemble Orfeo 55 dont les sonorités chatoyantes — les cordes notamment, dépourvues de toute sècheresse — constituent un écrin sonore de toute beauté pour la voix de Sonya Yoncheva. Dans les nombreuses pages orchestrales, Stutzmann se montre extrêmement rigoureuse sans toutefois éviter une certaine mollesse, notamment en première partie dans le Concerto grosso HWV 316 qui aurait demandé davantage d’énergie, de contrastes, de clairs-obscurs. L’ouverture de Giulio Cesare souffre des mêmes manques. Fort heureusement ces inconvénients se sont estompés dans la seconde partie, notamment dans les airs d’Alcina, idéalement équilibrés, ou l’alchimie entre les deux artistes était proche de l’idéal.