Le Théâtre des Champs-Élysées accueille pour deux représentations cette Italienne à Alger venue de Tourcoing où elle a été présentée au mois de mai dernier. Dans son compte-rendu de la création, Laurent Bury soulignait l’élégance de la mise en scène, qui semble s’être évaporée durant son transfert à Paris. En effet aucune idée particulière ne transparaît derrière cette direction d’acteurs convenue, ces gestes stéréotypés, et ces personnages en rang d’oignons face au public durant les ensembles. On a connu Christian Schiaretti plus inspiré. Certes, les décors, sobres et efficaces, ne sont pas désagréables à regarder : en guise de fond de scène une photo géante en noir et blanc qui représente une ville d’Afrique du Nord avec ses remparts et ses minarets, évoque une carte postale des années 50, période où l’action est transposée. Des parois transparentes, sur lesquelles sont peintes des arcades mauresques, également en noir et blanc, que les éclairages de Julia Grand habillent de couleurs, descendent des cintres permettant un changement de lieu à vue, et les costumes, dont le blanc est la couleur dominante, sont tout à fait seyants, en particulier la robe à fleurs printanière d’Elvira.
À la tête de La Grande Écurie et la Chambre du Roy qui fête actuellement son cinquantième anniversaire, Jean-Claude Malgoire propose une battue métronomique aux tempi retenus au point que le premier tableau prend des allures d’opera seria : aucun humour, aucun second degré, pas le moindre clin d’œil dans la façon dont le chef dirige ses interprètes. Il faudra attendre la strette finale du premier acte pour qu’enfin un vent de folie salutaire souffle sur le plateau. Le second acte est un peu plus enlevé, cependant airs et ensembles s’enchaînent sagement dans un rythme régulier que rien ne vient bousculer, si ce n’est quelques couacs au niveau des cuivres. Les choeurs sont impeccables.
© Danielle Pierre
Côté vocal, les clés de fa dominent la distribution, en particulier le Taddeo truculent de Domenico Balzani dont la voix ample et bien projetée est capable de rendre justice aux ornementations qui parsèment sa partie. C’est sans doute l’un des seuls de la troupe à posséder de bout en bout la vis comica rossinienne. A cet égard sa scène du deux, « Ho un gran peso sulla testa » est un modèle d’humour et de drôlerie. Sergio Gallardo campe un Mustafà tout d’une pièce dont la voix de stentor aux graves abyssaux impressionne dès sa première scène « Delle donne l’arroganza ». Il faudra attendre le finale du second acte (« Dei papataci s’avanza il coro ») pour que son personnage devienne réellement désopilant. Quant à Renaud Delaigue, il capte durablement l’attention dans le seul air qui lui est dévolu au point que l’on regrette de ne pas entendre davantage son beau timbre de basse profonde. Et pourtant, il s’agit d’un de ces airs « de sorbet » durant lesquels la concentration du public de l’époque se relâchait et qui étaient parfois de la main d’un compositeur anonyme.
La soirée commence mal pour Artavazd Sargsyan qui dès son entrée en scène chante « languir per una bella » avec une voix trémulante et des vocalises plus qu’approximatives. Les choses s’arrangent partiellement après l’entracte, le timbre retrouve son assurance mais force est de reconnaître que pour le moment le chant orné ne semble pas être son point fort.
Lidia Vinyes Curtis et Samantha Louis-Jean dont les timbres se marient harmonieusement, tirent habilement leur épingle du jeu dans les rôles épisodiques d’Elvira et de Zulma.
Enfin, Anna Reinhold qui fut il y a peu une Cybèle remarquée dans Atys aborde Isabella avec une voix homogène, des graves sonores et une virtuosité sans faille. Dans sa cavatine du premier acte « Cruda sorte » et plus encore dans son duo avec Taddeo, elle incarne davantage une soubrette mutine qu’une femme de tête rouée, mais après tout on peut concevoir le rôle ainsi. On oubliera un certain manque de volume et d’aplomb dans le rondo « Pensa a la patria » pour garder en mémoire sa science du legato et des nuances dans le délicieux « Per lui che adoro ».