… à moins qu’ils n’aient la chance d’habiter Tours.
Chiara Amarù est en effet on ne peut plus rare dans l’Hexagone (rien dans son calendrier hormis une Enrichetta mineure dans I Puritani à Montpellier en 2017) et en sortant ce dimanche du Grand Théâtre de Tours on se demande bien pourquoi. Celle qui reprend le rôle d’Isabella dès fin février à la Fenice renouvelle la réussite de sa Rosina à Pesaro : son timbre fruit mûr, ses vocalises déliées et ses reprises aux ornementations originales font une fois de plus merveille. Voilà une Isabella non exempte d’une once de vulgarité (vraisemblablement commandée par la mise en scène) mais qui a un caractère bien trempé et mène son petit monde à la baguette !
Pierre Doyen (Taddeo), Chiara Amarù (Isabella) © Sandra Daveau
La production signée David Hermann qui a déjà circulé en France, à Montpellier en 2017 et à Nancy en 2018, avait justement divisé nos confrères. Peut-être ne faut-il pas rechercher un sens particulier au dépaysement de l’action dans la jungle et à la présence des masques tribaux ? En tout état de cause, les notes d’intention du metteur en scène dans le programme de salle nous éclairent assez peu à ce sujet. Reste donc un décor unique luxuriant signé Rifail Ajdarpasic, qui a l’avantage de ménager plusieurs niveaux de scène, mais qui pourrait aussi bien servir de cadre à une toute autre œuvre.
La direction d’acteurs est plutôt fouillée et certains gags bien pensés (notamment les turbulences à l’acte 2 qui font descendre les masques à oxygène des cintres). On regrettera cependant le côté appuyé des effets, qui versent parfois gratuitement dans la vulgarité. Ainsi, fallait-il vraiment que Mustafa mange une banane pour nous faire comprendre ses pensées concupiscentes ? Reconnaissons au final une véritable efficacité de la proposition scénique, qui ne va jamais à l’encontre de la musique.
Après une ouverture bien en place mais un peu sage, le spectacle avait pourtant fort mal commencé avec l’entrée de Mustafa. La basse turque Burak Bilgili (qui tenait déjà le rôle dans cette même production à Montpellier) semble en déroute totale : notes qui tombent à côté, vocalises erratiques, on craint le pire pour la suite. Craintes pas totalement fondées, le chanteur retrouvant peu à peu la maîtrise de son instrument, montrant même une certaine aisance dans les passages de chant syllabique rapide. Les vocalises et les aigus restent cependant problématiques. Quel dommage quand le reste de la distribution n’appelle que des louanges !
L’arrivée de Patrick Kabongo (Lindoro) est ainsi un baume Rossinien pour nos oreilles. Le ténor franco-congolais est un habitué de Bad Wilbad et cela s’entend. Sa voix claire jamais nasale séduit immédiatement par sa ductilité. La reprise de son « Languir per una bella » mezza voce provoque ainsi le premier frisson de la matinée.
Son rival Taddeo trouve en Pierre Doyen un interprète particulièrement en verve : son baryton puissamment projeté ne fait qu’une bouchée du rôle. Surtout, le chanteur belge, très à l’aise scéniquement (son personnage fortement sollicité par la mise en scène se retrouve régulièrement déshabillé) campe un nigaud fort réjouissant.
L’Elvira bien sonore bien qu’un peu monochrome de Jeanne Crousaud et la Zulma gironde d’Anna Destraël complètent efficacement la distribution, tandis que l’Haly d’Aimery Lefèvre impressionne davantage par son personnage de sorcier plutôt angoissant que par son aria di sorbetto.
L’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire / Tours se tire sans anicroche des chausses trappes rossiniennes, avec en particulier des soli des vents parfaitement exécutés. La direction équilibrée de Gianluca Martinenghi emporte ainsi le navire à bon port, ménageant des ensembles très bien réglés (même le final du premier acte pourtant pris à vive allure). Manque peut-être pour que la fête soit parfaite la petite étincelle de folie qui peut faire basculer la partition dans l’ivresse.
On saluera enfin l’excellente performance du Chœur de l’Opéra de Tours, équilibré et jamais agressif, à la mise en place sans faille.