Un discret panneau accueillait les spectateurs de la soirée du 13 avril au Met, informant qu’Angela Gheorghiu souffrante était remplacée par Hei-Kyung Hong (initialement prévue pour ne chanter que la dernière Traviata de la série, le 24 avril 2010). Aucune annonce n’était faite au lever de rideau, renforçant ainsi encore notre frustration…
Mais revenons au spectacle lui-même. Au nom de Zeffirelli on s’attendait à un spectacle traditionnel… et l’on fut servi. Les décors sont d’une richesse inouïe, un salon empire surchargé au premier acte (aucun bibelot ne manque à l’appel), une grande véranda au premier tableau du II, de superbes effets de drapés dans le salon de Flora. Le plus impressionnant reste cependant le décor du dernier acte : la scène débute dans la chambre de Violetta et se termine dans le salon de l’acte 1, un étage plus bas, après que l’ensemble de l’immeuble fut comme aspiré vers les cintres. L’effet est saisissant ! Les costumes (d’époque évidemment !) sont également somptueux, redingote et lavallière pour Alfredo, robes soyeuses et parures scintillantes pour Violetta. D’aucuns frôleront l’indigestion face à cette débauche de luxe ! Malheureusement le côté tradition se retrouve également dans la direction d’acteur, déficiente voire inexistante, laissant deviner la reprise de routine… Reste que la « routine » du Met pourrait faire rêver toute autre salle dans le monde, notamment en ce qui concerne la distribution.
James Valenti possède le physique idéal pour Alfredo, mais il en a également la jeunesse et la flamme, mêlées à une certaine gaucherie. Le chant est châtié, jamais avare de nuance, capable de beaux éclats. Pour ne rien gâcher, la voix est chaudement colorée, sans tension dans l’aigu… Une vraie révélation. On connaît mieux le Germont de Thomas Hampson. La voix plus que jamais grisonnante semble donner chair à ce personnage vieillissant, à la rigueur et à la morgue mortifères, tour à tour caressante ou tonnante, insinuante ou désespérée ; il nous apporte un peu de cette émotion qui manque par ailleurs à cette soirée.
Belle direction d’orchestre également d’Yves Abel, bien équilibrée, attentive au plateau… mais qui pèche parfois par des tempi précipités, notamment dans la confrontation entre Germont père et Violetta du début de l’acte 2, gommant ainsi le pathos de la scène.
Malheureusement la Traviata de Hei-Kyung Hong n’est pas tout à fait au niveau de cet écrin. La chanteuse d’origine coréenne est honorable dans le premier acte. Elle assure même son contre mi bémol à la fin du « Sempre libera »… mais au prix d’aigus du type « tête d’épingle » – le timbre déjà peu coloré s’amincissant à l’excès dans les suraigus – et pas toujours justes ! Le manque d’onctuosité de la voix se fait plus encore ressentir au deuxième acte, la chanteuse pourtant engagée ne parvenant jamais à faire passer le frisson. Il faut dire à sa décharge que l’absence de direction d’acteur l’oblige à se réfugier dans un jeu à la limite de la caricature. Le troisième acte la trouvera plus à son aise, délivrant un « addio del passato » enfin poignant… E tardi !
Ajoutons encore que le reste du cast ne brille guère, avec notamment une Annina vibrante et poitrinante comme rarement entendu.
Mais qu’attendre d’une Traviata en mal de Violetta ? Le contraste quelques jours plus tard, n’en est que plus cruel… Car le 21 avril, la diva roumaine était enfin remise… Dès son entrée sur scène, une évidence: Angela Gheorghiu connaît son héroïne verdienne sur le bout des doigts… Certes le premier acte, dans lequel où elle n’évite pas certaines minauderies, accuse les limites de sa voix (quelques vocalises savonnées ou aigus tirés… et pas de contre-note conclusive dans le « sempre libera » !). Mais pour le reste, elle habite littéralement par son chant moiré et un sens inné du drame la demi-mondaine parisienne. Et l’on ne sait que retenir, d’un « Amami Alfredo » frémissant, des duos avec un James Valenti galvanisé, ou d’un « Addio del passato » à faire pleurer les pierres… La chanteuse reçoit une ovation méritée aux saluts, d’un public ému aux larmes. On a retrouvé Traviata !