En phase avec le charmant marché de Noël qui embellit et illumine la ville, c’est avec une enseigne lumineuse annonçant le Chanteur de Mexico en façade que l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz invite le chaland à entrer dans sa belle salle. Riche idée que de programmer la célèbre opérette de Francis Lopez pour les festivités de Noël, surtout quand on se donne les moyens d’en faire un vrai et ambitieux spectacle…
Et ce ne sont pas moins de 55 musiciens dans la fosse pour magnifier la musique de Francis Lopez qui, au demeurant, est bien plus subtile que pourraient l’imaginer les allergiques par principe au répertoire léger. Le livret, un peu long, aux dialogues forcément un brin datés, a été entièrement dépoussiéré par Paul-Émile Fourny, directeur du théâtre et metteur en scène, rappelons-le, aidé par Pénélope Bergeret et Gilles Vajou. De multiples clins d’œil ont été insérés, sous forme de private jokes qu’on repèrera ici ou là : des fragments de dialogues de François Truffaut dans La Nuit américaine ont été utilisés, par exemple, ce qui est assez croquignolet, sachant que le réalisateur de la Nouvelle vague fustigeait les films des années 1950 qu’il appelait le « cinéma de papa », alors que l’opérette avait été adaptée au cinéma en 1956. L’histoire a été remaniée, correspondant plus ou moins à la version montée au Châtelet en 2006, où l’on tournait un film, ce qui également le cas ici, ce qui permet de délicieuses mises en abyme, notamment lorsque l’assistante du metteur en scène demande, face à la salle, de faire silence en hurlant dans son mégaphone, gag récurrent.
Dans un esprit festif, tout a été mis en œuvre pour générer un spectacle foisonnant d’accessoires, de figurants, de costumes exubérants, haut en couleur, que Frida Kahlo n’aurait pas boudé, on en est certain. Peu de dialogues, donc, mais une succession endiablée de numéros tous plus connus les uns que les autres (Francis Lopez nous a gâtés en tubes, il faudrait qu’on s’en souvienne davantage dans les programmations de fin d’années). Voilà un spectacle qui se tient, quand bien même certains numéros auront été déplacés (« Maïtechu » destiné à Cricri et non à Eva, par exemple) ou supprimés pour garantir cohérence et rythme à l’ensemble. En fan nostalgique, on regrettera toutefois l’absence du « Tcha tcha du chat », qui permet à Bourvil un merveilleux numéro de jeu de jambes dans l’adaptation filmée. Les spectateurs ne sont cependant pas privés de danse : il faut saluer le travail du chorégraphe Graham Erhardt-Kotowich (qui joue évidemment le rôle du chorégraphe sur scène avec élégance et grande classe). Les numéros dansés le sont avec naturel et raffinement, ce qui sublime le spectacle déjà très bien chaloupé car, à son habitude, Paul-Émile Fourny, grand spécialiste des placements de groupes, crée une succession de tableaux vivants dynamiques, visuellement très seyants. Tout ce beau monde est mis en valeur par les décors fastueux de Hernán Peñuela mais aussi grâce aux costumes splendides de Giovanna Fiorentini, fabriqués par les ateliers de la maison, bien sûr, à partir de tissus dénichés en Amérique du Sud pour certains. L’œil est à la fête et les oreilles vont finir par se mettre elles aussi totalement au diapason.
On commence par se dire que, dans le rôle-titre de Vincent Etchebar, le ténor franco-tunisien Amadi Lagha manque un peu de charisme dans son interprétation à la manière de Luis Mariano. La voix n’est pas forcément solaire, mais très vite, la capacité d’abattage, la conviction dynamique que dégage l’acteur et surtout l’insolence des suraigus à répétition (en particulier au moment des saluts, où les reprises de « Mexico » n’en finissent plus, jusqu’à faire contagion sur le public qui reprend en chœur à cœur joie) emportent l’adhésion, en particulier lorsque le ténor donne la sérénade en s’accompagnant lui-même à la guitare. Perrine Madoeuf en fait des tonnes en pin-up à la Marylin (merveilleusement habillée et coiffée, d’ailleurs), se montre délicieusement insupportable en frivole coquette provocante mais authentique soprano aux magnifiques envolées qui la transforment en diva magnifique. Apolline Hachler est une superbe Cricri, particulièrement touchante lorsqu’elle se confie dans « Ça m’fait quéqu’chose ». Voici un joli brin de voix en devenir, qui sait par endroits se faire autoritaire mais qui souffre encore d’une déficience de volume. S’il n’a qu’un rôle de faire-valoir à qui on a supprimé nombre de dialogues, Régis Mengus n’en est pas moins doté d’un très beau baryton et d’un charme ravageur qui nous font regretter de ne pas entendre son Bilou plus fréquemment. Les autres protagonistes sont impeccables, solidement secondés par le Chœur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz, qui semble ravi de porter ces magnifiques costumes et chanter ce répertoire. Dans la fosse, le tout jeune chef Victor Rouanet prend très au sérieux cette partition et, aidé de son opulent orchestre, parvient à véritablement faire valoir la musique de Lopez : qu’il en soit remercié. On se délecte d’ailleurs tout particulièrement de son ultime intervention : une fois le rideau tombé pour la dernière fois et le public en train de se diriger vers la sortie, il est toujours à la manœuvre et reprend l’ouverture, pour mieux accompagner les spectateurs vers la vie normale. Autant dire que tout le monde est électrisé par le procédé. La bonne humeur est palpable et surtout contagieuse… On en redemande !
Dans la salle comble, on a pu repérer de nombreux enfants qui ne se sont visiblement pas ennuyé une seconde et dont on parie qu’ils reviendront à l’opéra. Mais que demander de plus pour Noël ?