Cette année encore, la participation de l’Opéra de Rennes à la Co[opéra]tive permet au public breton de bénéficier d’une magnifique production mutualisée entre sept structures autour d’une création contemporaine issue du film de Wim Wenders, les Ailes du Désir. Il s’agit de la première commande du collectif avant un retour l’an prochain en terre baroque avec le Carnaval de Venise de Campra.
Ici, l’incontestable réussite du projet tient à l’osmose entre la musique composée par Othman Louati et la proposition scénique de Grégory Voillemet. L’un comme l’autre utilisent pleinement les moyens à leur disposition pour rendre sensible l’univers de cet ange qui souhaite s’incarner et celui des humains.
Le Berlin d’avant la chute du mur se peuple ainsi de marionnettes dont les voix intérieures sont portées par les chanteurs. C’est cette cacophonie de pensées que perçoivent les deux anges veillant sur eux. L’univers de ces derniers est de noir et blanc – tout comme dans le film. Un cyclo crée régulièrement une belle lumière contrée qui rend ce clair-obscur extrêmement esthétique, y compris dans une scène de boite de nuit où la danse au ralenti, à contre-jour, prend une singulière magie qui sublime une musique hypnotique.
©Christophe Raynaud de Lage
Fort joliment, les humains/marionnettes sont plus petits que les anges et lorsqu’Amielle – ange merveilleusement incarné par Marie-Laure Garnier rejoint le monde vivant, la magie des ombres portées la rend petite, désormais, parmi les humains qui ne sont plus poupées désormais, mais de chair et de sang. La révélation lyrique de l’année 2021 des Victoires de la musique classique bénéficie d’une présence intense – longtemps silencieuse – dans ce rôle à l’ample ambitus qui met en valeur une assise large, un son généreux et bien conduit.
Romain Dayez dessine la silhouette tendre de son acolyte céleste, fort d’une émission franche, bien projetée tandis que cinq autres artistes lyriques prêtent leurs voix aux émouvantes marionnettes d’Amélie Madeline, manipulées avec talent. Elles prendront vie jusqu’à s’incarner pleinement pour la trapéziste Marion, dont Amielle tombe amoureuse au point de choisir de se faire mortelle. Camille Merckx se révèle remarquablement touchante dans ce rôle qui met en valeur son beau mezzo de velours chaud.
Benoit Rameau incarne deux personnages très contrastés avec, d’une part Peter, l’ancien ange devenu graffeur, qui désormais dessine la vie en couleurs et vibre de joie mais également « l’aimant jamais aimé », effondré jusqu’au suicide. Il est pareillement convainquant dans ces deux rôles qui lui permettent d’exprimer une jolie palette de couleurs de son timbre clair et suave.
Il en est de même pour l’Enfant de Shigeko Hata qui fait de l’œil à Ravel et nous ensorcelle dans le sortilège de sa voix aux aigus brillants autant que par le Sprechgesang très punk de sa mendiante rêvant de rock n’roll.
Mathilde Ortscheidt campe une mère très convaincante tandis que Ronan Nédélec prête son timbre profond au focus précis à l’émouvant grand-père, perdu dans la ville, ressassant un passé traumatique au point de risquer de se disloquer. Magie de la marionnette…
Tous les chanteurs sont sonorisés. Les effets sont nettement perceptibles mais font écho aux ajouts électroniques à l’orchestre et fonctionnent bien.
Dans ce livret plus méditatif que narratif, les personnages sont juste esquissés et doivent beaucoup à la scénographie parfaitement ajustée de Johanny Bert comme aux lumières précises de Jean-Philippe Viguié.
Naturellement, l’émotion s’inscrit avant tout dans la puissance évocatrice de la musique d’Othman Louati qui donne à entendre avec beaucoup de subtilité la dissonance des êtres.
Un cœur qui enfin se mettrait à battre est au centre du propos et le compositeur travaille sa rythmique avec raffinement, lui qui est percussionniste de formation. Mais il est également fin mélodiste et joue des univers sonores pour mieux installer les atmosphères délicates de ses tableaux. De la polyphonie au cirque ou à la pop, il est merveilleusement servi par les treize instrumentistes de l’Ensemble Miroirs Etendus, sous la direction fluide, précise et sensible de Fiona Monbet.
Un spectacle à applaudir à l’Opéra de Rennes jusqu’au 18 mai avant une ultime date le 24 à l’Atelier Lyrique de Tourcoing.