La splendide Chapelle Corneille, ancien lieu de culte classé monument historique, chef-d’œuvre de l’architecture du XVIIe siècle, a été convertie depuis 2016 en salle de concert. La rentabilité d’une restauration qui a demandé tant de temps et de moyens financiers ne saurait être assurée par un répertoire limité. La voici désormais ouverte aux formes les plus éloignées de sa destination première. En passant par le meilleur de la danse et de la musique classique ou contemporaine, ce haut-lieu accueille aujourd’hui une grande variété de genres et de musiques du monde dont même le rock n’est pas exclu. Et l’Opéra de Rouen, devenu gestionnaire de la programmation, ne ménage pas sa peine pour offrir gracieusement aux divers publics des séances d’introduction ainsi que des programmes imprimés riches en contexte.
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Rendre compte de ce spectacle musical au féminin, ô combien composite, nous place dans une situation délicate. En homme de théâtre refusant toute entrave, David Bobée et sa complice Corinne Meyniel – dont nous avions à l’Opéra Comique en 2018 admiré sans réserve le travail dans La Nonne sanglante de Gounod – n’ont reculé ici devant aucun hiatus. Précisons d’emblée que cette folle production haendélienne est présentée dans le cadre de SPRING, festival des nouvelles formes de cirque en Normandie.
Utilisant un vaste plateau tournant surélevé, au format de la piste d’un petit cirque, une mise en espace audacieuse fait défiler de manière quasi magique plusieurs héroïnes de cantates, d’opéras et d’oratorios de Haendel. Celles-ci sont incarnées par deux cantatrices envoûtantes qui revivent les moments les plus forts des œuvres choisies.
Pléthore de costumes mêlant les styles et les époques, manipulation d’accessoires guerriers, évocations gore… En lien avec les humeurs des arias et récitatifs chantés par ces personnages de théâtre, deux artistes chorégraphiques de haut niveau et une acrobate d’une brutalité étonnante exercent leur art en illustrant énergiquement cet étrange spectacle que les metteurs en scène ont souhaité, nous disent-ils : féminin plutôt que féministe, en ce qu’il débarrasse les interprètes des stéréotypes féminins pour aller vers une féminité libre de s’inventer en dehors des discours séculaires.
Avec sa voix chaude aux graves moelleux et son autorité naturelle, la mezzo-soprano Aude Extrémo incarne notamment Lucrèce, épouse exemplaire qui lave son honneur et celui de son époux en se poignardant. On la revoit ensuite chanter dans une robe flamboyante « Vorrei vendicarmi » le fameux air « furioso » pour alto de la Bradamante de l’opéra Alcina, enfin Armide, la magicienne de Rinaldo.
La pureté du timbre, les vocalises précises et l’engagement dramatique de la soprano Yun Jung Choi conviennent aussi bien aux jeunes amoureuses, aux séductrices comme Cléopâtre, Melissa, la sorcière d’Amadigi di Gaula. Enfin Bérénice, prisonnière de Scipion dont elle repousse obstinément les avances dans un « Scoglio d’immota fronte » impressionnant.
Notons surtout leur admirable duo « Dolci chiodi, amate spine » de La Resurrezione où les deux chanteuses unissent fort agréablement leurs voix.
Sous la baguette de Iñaki Encina Oyòn, l’orchestre de l’Opéra de Rouen, en retrait derrière le dispositif scénique, fait de son mieux pour servir la musique mélodique et toujours assez pompeuse de Haendel. Avouons toutefois que nous avons eu de la peine à supporter son mariage contre nature avec une bonne dose de musique électroacoustique intempestive peuplée de bruitages orageux. Sans nul doute, Circus oblige…