Pour la 21e édition de Lyrique-en-mer, Philip Walsh, directeur artistique du festival, propose sa première Lucia di Lammermoor, une œuvre exigeante et un défi pour l’équipe artistique de Belle-Île qui relève le gant avec talent.
A Londres, il y a deux ans, Katie Mitchell avait proposé une Lucia partageant l’espace en deux par le milieu avec un succès apparemment mitigé. Denise Mulholland, quant à elle, divise son plateau du proscenium au fond de scène comme autant de strates du réel. L’espace y est donc indéterminé – fontaine champêtre à l’avant, chambre à l’arrière alors qu’un espace indéterminé occupe le centre du plateau. La chambre de Lucia, dont le lit est la métonymie hautement signifiante reste donc visible pendant tout le spectacle. L’idée est pertinente puisque le mariage et la fidélité de la jeune fille sont bien l’enjeu du drame. Ce parti pris aurait toutefois acquis une plus parfaite cohérence si la nuit de noces y avait été également évoquée puisque cette dernière se déroule paradoxalement hors scène. L’utilisation d’un cyclo y compose, quoi qu’il en soit, de touchantes ombres chinoises, en particulier à la mort de Lucia qui accompagne celle d’Edgardo.
L’autre bonne idée de mise en scène est la présence silencieuse du fantôme de la fiancée assassinée de Ravenswood, évoquée par l’héroïne au premier acte. Elle accompagne l’action de sa déambulation spectrale et prémonitoire allant jusqu’à s’unir à Edgardo dans la mort, résonance tragique entre sa triste fin et celle des amants sacrifiés. Là encore, si l’on voulait chipoter l’on pourrait déplorer que cet esprit disparaisse pendant les scènes du contrat de mariage et de la folie alors qu’il aurait pu y trouver une place légitime.
© festival Lyrique en mer
Les costumes oscillent d’un Moyen Âge fantasmé au cuir contemporain en passant par le XVIIIe siècle. L’unité est assurée par des écharpes en tartan et un joli travail de teintes.
Le raffinement dans le travail des couleurs se retrouve plus encore dans la fine direction de Philippe Walsh : les tempi sont toujours au service de l’expressivité des chanteurs soutenus sans faille. La réduction orchestrale de Francis Griffin pour 14 instruments est remarquablement efficace, mettant en valeur les talents de chambriste de chaque musicien. Il faut dire que la configuration de la salle place l’orchestre en pleine lumière, devant la scène. A vrai dire, cela pourrait nuire à la plongée du spectateur dans l’histoire, heureusement, la qualité du plateau scénique évite cet écueil par une implication exemplaire. La direction d’acteur de Denise Mulholland apporte beaucoup de justesse et d’émotion aux différents protagonistes de la tragédie. Le couple des amoureux s’avère à cet égard tout à fait poignant. La jeune soprano maltaise Nicola Said est une épatante Lucia : unité des registres, richesse du timbre, aigus souverains, vocalises souples et faciles, elle pourrait sans doute améliorer encore la tenue du souffle pour des finales plus soignées mais ce n’est qu’un détail au vu d’une prestation profondément émouvante. L’actrice n’est pas moins touchante que la chanteuse, rendant crédible l’égarement de la jeune femme déchirée entre devoir et sentiments.
Si le spectateur a la gorge serrée c’est également grâce à la très belle performance d’Aaron Short, Edgardo sincère à l’émission équilibrée, simple, pure, à la projection sans faille dont les duos amoureux tout comme la fin tragique s’avèrent assez bouleversants.
Face aux amants sacrifiés, Christian Bowers campe un Ashton de belle prestance à la voix pleine, aux riches couleurs, au timbre généreux tandis que Colin Ramsey, pour sa part, compose un Raimondo à la voix un peu engorgée mais très impliqué scéniquement.
Le chœur rassemble les 14 jeunes chanteurs de l’académie d’été du festival dont l’effectif se partage équitablement entre artistes français et américains. Ils forment un ensemble engagé et vaillant, à la pâte sonore riche et ronde. Il aura son heure de gloire en soliste le 11 août prochain avec une version prometteuse de Passionnement, d’André Messager.