Créée la saison passée, la production de Katie Mitchell revient cette année pour une première reprise dans une version parait-il légèrement affadie, l’originale ayant causé un mini scandale par la crudité de son parti dramaturgique. Mitchell transpose l’action au XIXe siècle, dans de magnifiques décors de Vicki Mortimer qui divisent systématiquement la scène en deux. D’un côté, les protagonistes qui chantent, de l’autre une action muette. Le procédé est astucieux mais tend à distraire l’attention de l’exécution musicale. Il prive également les spectateurs de côté d’une moitié du spectacle. Parfois, ce n’est pas plus mal : Lucia découvre aux toilettes qu’elle n’a pas ses règles ; elle planifie l’assassinat d’Arturo avec la complicité d’Alisa : le soir de la nuit de noces, elle chevauche son nouvel époux après l’avoir déshabillé (il doit se dire que la jeune vierge a des talents surprenants), le larde de coups de couteaux tandis qu’Alisa étouffe ses cris avec un oreiller ; la jeune femme accouche sur ce même lit (côté jardin) tandis que Raimondo (côté cours) annonce le meurtre aux invités en train de jouer au billard ; Lucia le rejoint pour chanter sa scène de folie, l’entre-jambe couverte de sang (vu son état, elle termine logiquement… sur le billard) ; Edgardo chante la première partie de sa grande scène dans le cimetière (cour) tandis qu’Alisa (qui semble avoir échappé aux poursuites pour complicité d’assassinat) fait couler un bain à sa maîtresse (jardin) : Lucia, laissée seule par sa femme de chambre, décidémment pas très fute-fute, en profite pour se tailler les veines dans la baignoire ; Edgardo la rejoint pour mourir auprès d’elle (et chanter la seconde partie de sa scène, laissant les choeurs dialoguer dans le cimetière avec un Edgardo qui n’est plus là) : il se tranche la gorge (Alisa essaie bien de l’en empêcher, mais une fois de plus en vain : bon courage pour le CV). On ne s’ennuie pas, mais malheureusement, tout ça n’a pas beaucoup de rapport avec le romantisme de la musique et du livret : même si certaines de ces horreurs ont leur justification dans le fil de l’action (on se doute bien qu’Arturo meurt de façon violente), les exposer crûment n’est pas pour autant à propos et relève plutôt de « l’épate-bourgeois » sans grande subtilité. Seule concession au romantisme, la présence de nombreux fantômes, parfois incongrus comme celui d’Edgardo apparaissant à Lucia pendant la scène de folie alors que le jeune homme est bien vivant. La direction d’acteur est toutefois impeccable, l’ensemble des protagonistes jouant parfaitement le jeu qu’on leur impose, la mise en place quasiment cinématographique.
Pour ces débuts au Royal Opera, Lisette Oropesa campe une Lucia d’une belle maîtrise technique : les trilles sont parfaitement battus, le legato est parfait, les suraigus jaillissent sans effort avec parfois de magnifique effets de soufflet forte-piano. L’actrice est remarquable.L’expression musicale est d’une belle sensibilité, mais il lui manque toutefois un timbre plus riche, une rondeur de son, qui l’aiderait à colorer le chant, qualité indispensable dans le belcanto. On retrouve un peu ces caractéristiques chez Ismael Jordi : là aussi la voix manque un peu de couleurs, mais le ténor espagnol, en constant progrès, nous rappelle (avec des moyens moindres, certes) les riches heures de Carlo Bergonzi ou d’Alfredo Kraus : un chant au style impeccable, aristocratique, un phrasé parfait, une belle maîtrise des piani, bref : un art maîtrisé du chant belcantiste.
C’est tout l’opposé avec Christopher Maltman, Enrico au style frustre, capable de beaux aigus chantant trop bas la moitié du temps. Après s’être substitué à Michele Pertusi souffrant deux jours avant dans Semiramide, Mirco Palazzi le remplace à nouveau ce soir. Authentique belcantiste, le jeune chanteur nous offre une superbe prestation, avec des variations inédites dans son air du deuxième acte. La projection est encore un peu limitée. Quelques aigus ont parus un peu tirés, soit qu’il s’agisse d’une fatigue passagère, soit que la tessiture du rôle soit trop grave pour ce baryton-basse, le chanteur perdant alors en haut les notes qu’il va chercher en bas. Les petits rôles sont bien tenus et en particulier l’Arturo de Konu Kim à la voix sonore et au timbre flatteur.
Michele Mariotti offre une direction plan-plan, lourdaude, dépourvue de tension dramatique. La balance orchestrale favorise trop cuivres et percussions. La scène de la tour de Wolferag est conservée, mais les coupures sont multiples : reprises, cadences, codas… On se croirait revenus aux années 50 ! Etrange de la part d’un chef d’orchestre tombé dans la marmite Rossini quand il était petit (il est le fils de Gianfranco Mariotti, surintendant du Festival de Pesaro depuis sa création en 1980 jusqu’au mois de septembre dernier)..