L’ambiance était à la fête en ce dimanche 6 juin à l’abbatiale de Saint Michel en Thiérache à l’occasion des concerts d’ouverture du Festival de Musique ancienne et baroque. Il y avait même une atmosphère de kermesse, car, après un an de silence, et dans le respect des restrictions sanitaires, le public, selon un rituel bien rôdé, se pressait pour y passer la journée, et s’était préparé à pique-niquer à son aise, dans les jardins, entre les deux concerts. Un grand bravo à Jean-Michel Verneiges d’avoir réussi, en ces temps difficiles, à réunir tant d’artistes prestigieux pour cette nouvelle édition.
La premier concert, à 11h 30, accueillait un nouveau venu : l’ensemble des Musiciens de Saint-Julien dirigé par le flûtiste François Lazarevitch avec en soliste la mezzo-soprano Lucile Richardot. Le programme était consacré à une sélection de chants et de danses d’inspiration populaire de l’Orpheus Britannicus de Purcell. Et pour l’occasion, il arrivait au flûtiste de troquer son instrument contre une musette. La merveilleuse mezzo-soprano Lucile Richardot intervenait, elle, dans des airs extraits notamment d’opéras. Elle les a interprétés dans un anglais remarquable, ciselé au cordeau. Son timbre cuivré et profond nous a rappelé, plus d’une fois, celui de Kathleen Ferrier. Elle allie une faconde exubérante à la noblesse d’une grande tragédienne lyrique. Elle est impayable dans la ballade du Jockey d’Edimbourg et nous arrache des larmes dans le célèbre Ô Solitude ou l’Air du Froid de l’opéra King Arthur. Passionnée de musique ancienne, elle est aussi, aujourd’hui, une de nos meilleures interprètes de Gustav Mahler. Nous l’entendrons la saison prochaine au TCE à Paris dans Geneviève de Pelléas et Mélisande de Debussy. En bis, François Lazarevitch a entraîné ses Musiciens de Saint-Julien – et le public qui les a ovationnés – dans une pétulante contredanse (country dance) avec « hornpipe » obligé !
Lucile Richardot, mezzo et les Musiciens de Saint-Julien (Photo Anne-Sandrine Girolamo)
A 15h30 l’ensemble Arpeggiata de Christina Pluhar leur succédait avec Philippe Jaroussky, le complice de toujours, dans un programme passionnant d’airs de cour de compositeurs français du début du XVIIe siècle. Etonnés au début par les accents hispaniques dessinés au théorbe nous comprenons bientôt que certains de ces compositeurs on été en contact avec l’Italie et l’Espagne, comme Gabriel Bataille ou le languedocien Estienne Moulinié et son « air galant au bord du Tage ». Philippe Jaroussky, toujours aussi fringant et dans une forme vocale insolente, est l’interprète idéal de ces chants et, pour la première fois en concert, il distille, avec gourmandise, un espagnol impeccable. Grand comédien, il déploie une riche palette d’expressions : espiègle dans les bergerettes, il est soudain particulièrement émouvant dans la romance à capella du « gentil marinier » de Pierre Guédron. Les musiciens s’entendent si bien qu’ils peuvent improviser à l’envi. La aussi quelle belle diversité en harmonie : l’excellente harpiste italo-grecque et le théorbe se taillent un franc succès dans une adaptation des Barricades Mystérieuses de Couperin. L’américain Doron Sherwin, au cornet à bouquin, tire de l’instrument des sons magiques qui vont de la plainte poignante aux ornements véloces et virtuoses. Le joueur de castagnettes est russe et totalement « flamenco » et le luthiste joue parfois du cistre, l’ancêtre du charango andin. A la fin, cerise sur le gâteau, Philippe Jaroussky se lance dans un air galant bien contemporain (et audacieusement chorégraphié par ses soins) transcrit pour ensemble baroque par Christina Pluhar : le pétillant « Déshabillez-moi » de Nyel et Verlor que chantait Juliette Gréco ! Le public est aux anges et ne veut pas les laisser partir. A la sortie des concerts les auditeurs se mêlent aux musiciens autour d’un verre. Vivement donc dimanche prochain avec Les Meslanges et Stefano Rossi à la tête du Pomo d’Oro !