A l’occasion du centenaire de la naissance du compositeur Luigi Nono, L’Ensemble vocal la Stagione Armonica investi un entrepôt séculaire sur le port de Ravenne, l’Artificerie Almagià. L’ancien et le nouveau président donc à la soirée dans les lieux même avant de s’imposer dans l’oreille du spectateur avec un balancier audacieux au cœur du programme.
Ce dernier met d’abord en exergue L’Officium Hebdomadae Sanctae de Tomàs Luis de Victoria, compositeur espagnol du siècle d’Or. En regard, Das atmende Klarsein de Luigi Nono, interprété en plusieurs langues – allemand, italien, grec – s’inscrit également dans l’histoire car le texte de cette méditation sur la mort combine celui de tablettes d’or du cinquième siècle avant J.-C retrouvées dans les tombes d’initiés au culte des mystères orphiques et dionysiaques avec les Elégies de Duino de R.M. Rilke.
L’Office de la Semaine Sainte est l’un des travaux les plus importants de Tomàs Luis de Victoria – élève de Palestrina à Rome – qui connut pour sa création les honneurs de la Chapelle Sixtine. Dans cette première partie, vingt chanteurs sont placés sous la direction aussi investie qu’affutée de Sergio Balestracci.
Fragilisé par le manque de justesse du pupitre des ténors, l’Ensemble fait montre néanmoins d’une grande sensibilité dans l’interprétation de ces extraits. La pâte sonore sait se faire tour à tour généreuse ou retenue, sobre mais ronde. Temps fort de la partition, le « Jerusalem » du Caph est dense, d’une belle saturation sonore, tout comme l’Incipit de la troisième Lectio. En contraste, le Motectum s’épanouit dans une merveilleuse tendresse. Les chanteurs soignent l’expressivité, sans afféterie, toujours au service d’un texte parfaitement lisible, mettant en valeur l’entrelacement des voix, les contrepoints de cette polyphonie mystique.
L’ensemble se réduit ensuite à douze voix – au lieu des huit spécifiées lors de la création – pour aborder l’oeuvre de Luigi Nono, compositeur, on le sait, qui réfléchit sur l’émission sonore, la réverbération, la relation avec l’espace. Cela s’avère effectivement prégnant dans Das atmende Klarsein : La pièce mêle matériel musical préfixé et improvisation. Elle associe une bande enregistrée avec des interprètes sans oublier une installation électronique en direct confiée à deux collaborateurs fidèles du composteur, déjà présents lors de la Première : Roberto Fabbriciani et Alvise Vidolin. La flûte basse du premier a un rôle central et alterne avec les interventions du choeur.
Les effets de spatialisation sont gérés avec parcimonie et apporte une vraie richesse d’écho et de résonance à la partition, installant une étrangeté assez hypnotique qui se prolonge dans la ligne vocale planante du Kaum messliches, par exemple, bien que les sopranes doivent affronter des aigus pianissimo parfois très tendus. Elles brillent mieux dans le Zwischen zwei Weilen à la tessiture medium qui s’avère particulièrement recueilli.
Si la superposition des textes et des langues les rendent en partie inintelligibles, les attaques comme les finales sont toujours très précises. En revanche, à nouveau, le pupitre des ténors se trouve à plusieurs reprises en difficulté face à une partition particulièrement exigeante.
Du deuil à une « clarté qui respire », la soirée trace un chemin mystique d’introspection et d’espérance, exigeant pour l’auditeur comme pour les artistes.