Quelle époque pour les passionnés d’Atys ! Après la version de Christophe Rousset et des Talens Lyrique, parue et donnée en ce début d’année, c’est au tour d’Alexis Kossenko et des Ambassadeurs de s’emparer, à Avignon, Tourcoing puis Paris, de ce chef d’oeuvre. Notre confrère constatait, à Avignon, l’exceptionnelle réussite de cette transfiguration d’Atys, opinion que nous partageons sans nulle réserve.
Le projet, conduit sous l’impulsion de Benoît Dratwicki, appuyé par les équipes du Centre de musique baroque de Versailles (CMBV), est aussi passionnant qu’ambitieux : réunir le plus grand nombre de sources pour tenter de recréer l’Atys de 1676, année de sa création, ou du moins s’en rapprocher le plus possible. Au-delà du choix du manuscrit entreposé à Versailles, c’est surtout la consultation du livret de la création, source littéraire donc, qui permet de prendre la mesure des effectifs de l’époque, notamment pour ce qui concerne les cordes, le positionnement des vents sur scène, ou encore la présence d’enfants dans le chœur. Plus ambitieux encore, les équipes du CMBV sont allées jusqu’à récréer hautbois et cromornes d’époque…
Disons d’emblée que ce projet extraordinaire ne parvient pas tant à récréer l’Atys des origines à l’identique – objectif illusoire, ce que les tenants du projet sont les premiers à admettre – qu’à créer un Atys profondément inouï et renouvelé. Il s’agit donc moins, au fond et à nos yeux, d’un Atys originel que d’un Atys ultime, chaque paramètre de l’œuvre étant porté à son état le plus parfait. La direction d’Alexis Kossenko est proche de l’idéal : l’énergie insufflée à l’œuvre est sans pareil et le détail apporté à chaque nuance de la partition est sidérant. Aucun choix de tempo n’est à contredire et chaque portée est animée d’une intention dramatique. Les Ambassadeurs et La Grande Ecurie font des merveilles tant l’osmose avec le chef n’a jamais été aussi forte. La sonorité des hautbois et cromornes crée un son totalement inédit, instaurant une réelle distance avec le connu et le présent, rappelant les quatre cents siècles qui nous séparent de cette tragédie lyrique. Leur présence sur scène est un délice, particulièrement lorsqu’ils viennent encercler un ou une cantatrice, instaurant un tissage inextricable entre théâtre et musique.
Le chœur, incarné par les Pages et les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, a fait l’objet d’un minutieux travail, sous la direction de Fabien Armengaud, notamment lorsqu’il est scindé en groupes qui se répondent les uns aux autres, créant un réel effet théâtral. La présence d’enfants dispense une sonorité totalement nouvelle : la diversité des voix apporte une profondeur qui confère au groupe un relief saisissant. In fine, on en vient à découvrir que le chœur est véritablement le poumon de l’œuvre !
La soirée se distingue aussi par un plateau vocal d’une excellence qui confine à la perfection. Le trio de tête a rarement été aussi bien distribué. C’est une prise de rôle très attendue pour Mathias Vidal qui devait un jour ou l’autre s’y confronter. Sans surprise, son Atys est exceptionnel. Conformément aux conclusions des travaux musicologiques du CMBV, le ténor projette et impose une voix puissante. Sa diction et son phrasé, unique en leur genre, d’une élégance folle, procurent une émotion instantanée. Le ténor manie le forte et le piano avec le même talent, pour le plus grand plaisir du spectateur. Véronique Gens offre une Cybèle à la noblesse sans pareil. Son autorité naturelle est époustouflante, tout comme son charisme qui impose sa volonté d’un seul regard. La vulnérabilité et l’émotion affleurent comme escompté dans « Espoirs si doux et si chers » ou dans ses ultimes paroles. Ses duos et ses confrontations la trouvent sans cesse triomphante, de par un jeu d’une densité inégalée.
Gwendoline Blondeel prend le rôle de Sangaride avec une superbe aisance. Nous appelions de nos vœux cette prise en rôle en janvier dernier et nous ne sommes pas déçu. Une voix de cristal conjuguée à un talent théâtral intrinsèque, permettent à la soprano de faire briller chacune de ses portées et d’arracher le cœur du spectateur. Gwendoline Blondeel sait particulièrement bien faire ressortir l’intelligence du texte par son chant, ses respirations, ses attaques. Tout est au service du drame et sa prestation en fait instantanément une des meilleures Sangaride, au côté de celle d’Emmanuelle de Negri. Tassis Christoyannis est un Célénus idéal : la chaleur du timbre ainsi que sa puissance lui permettent de camper un souverain inébranlable jusqu’à ce que le désespoir éclate avec grandeur. Le quatuor de l’acte V avec les 4 rôles principaux représentait tout ce que le baroque européen a de meilleur dans la période actuelle.
Les seconds rôles sont de très bonne facture également. Adrien Fournaison est un Idas et Phobétor absolument touchant : la profondeur de la voix du baryton-basse sied parfaitement aux rôles, surtout pour celui de Phobétor durant le divertissement du sommeil. Hasnaa Bennani campe une Doris aussi bienveillante qu’attendu et possède une technique baroque très maîtrisée. Ses duos avec Adrien Fournaison fonctionnent à merveille, notamment au début de l’acte IV (« Quoi ! Vous pleurez ? »). Antonin Rondepierre est le diamant de la soirée : ses aigus d’une douceur onctueuse nous transportent durant le divertissement du sommeil autant qu’ils nous entraînent lorsqu’il incarne le grand dieu du fleuve.
Eleonore Pancrazi incarne Mélisse à la voix souple et lumineuse tandis que Carlos Porto et François-Olivier Jean mettent tout leur talent, aux côtés d’Adrien Fournaison et d’Antonin Rondepierre, au service d’un divertissement du sommeil parfaitement exécuté. Ce moment de bravoure trouve le bon équilibre de tempo, de douceur et de grâce. David Witczak est efficace en Fleuve Sangar, songe funeste et Temps, mais pourrait certainement projeter davantage. Virginie Thomas et Marine Lafdal-Franc complète avec brio cette distribution impeccable !
L’œuvre a été enregistrée et devrait paraître sous format CD dans les mois à venir. À n’en pas douter, cet enregistrement figurera sur le podium, aux côtés de celui de William Christie de 1987.