Alors que Thésée était considéré du temps de Lully et au siècle suivant comme son œuvre la plus aboutie et réussie, l’opus occupe une place moins privilégiée aujourd’hui. Il est vrai que son livret, qui paraissait alors très équilibré, fait démarrer l’action assez tardivement, le nœud du problème, soit l’amour de Thésée pour Aeglé, au détriment de Médée, ne se déclarant qu’à la fin de l’acte II. Thésée, héros éponyme, n’apparaît qu’à l’acte II et n’a finalement qu’un rôle très limité. Musicalement, on notera quelques airs de Médée et duos entre Thésée et Aeglé, mais rien de la trempe du divertissement d’Atys, c’est certain.
Malgré ces quelques défauts intrinsèques à l’œuvre, la production de ce soir est une réussite totale. Christophe Rousset propose une approche aussi précise qu’incisive, aussi nerveuse que délicate. Nous retiendrons une maîtrise particulièrement subtile des contrastes, comme durant l’acte I où le feu d’Athènes assiégée côtoie alternativement l’intimité du temple de Minerve. L’orchestre des Talens Lyriques sait restituer chaque nuance imprimée par le chef, maniant tour à tour les registres épique, dramatique et pathétique. Le Chœur de chambre de Namur, dirigé par Thibault Lenaerts impressionne par sa rigueur, son sens de la finesse allié à une projection ciselée de bout en bout.
Le plateau vocal est un sans-faute. C’est la Médée de Karine Deshayes qui fascine le plus ce soir. Au lieu de rechercher un équilibre entre malveillance et humanité, certes présent, mais peut-être un peu convenu, la mezzo-soprano prend au sérieux le personnage qui lui est donné, qui a tout de même tué son compagnon Jason et démembré ses enfants. C’est ainsi une Médée particulièrement perfide que la cantatrice propose, et surtout, presque toujours ironique, voire sardonique, et sans limite. La voix sert magnifiquement le personnage, de par son volume, son agilité et l’ingéniosité de certaines ornementations très bienvenues. En Thésée, Mathias Vidal est presque un luxe : le ténor ne figure malheureusement que peu sur scène, pour notre plus grand malheur car chacune de ses apparitions est toujours un bonheur. La finesse de l’émission, l’attention portée à chaque détail et toujours cette diction si caractéristique font de lui un héros baroque indépassable. En face, Déborah Cachet propose une Aeglé d’excellente facture : la cantatrice campe un personnage à la fois fragile et courageux. Ses aigus sont d’une douceur remarquable et il est évident que sa voix fréquente le répertoire baroque régulièrement.
Les personnages secondaires sont tout aussi réussis. Philippe Estèphe donne à son Egée tout la profondeur régalienne escomptée, tandis que les graves de la voix de Guilhem Worms (Aracas et Mars) sont toujours aussi magnifiques à l’oreille. Les voix de Marie Lys, Bénédicte Tauran et Thaïs Raï-Westphal, se combinent favorablement entre elles lors d’airs partagés tandis que leur Cléone, Minerve et Dorine méritent d’être saluées. Enfin, Robert Gretchell et Fabien Hyon complètent très efficacement cette impeccable distribution.
Thésée est créée en janvier 1675, soit un an avant Atys : on retrouve quelques signes précurseurs qui montrent que le compositeur est sur la voie du chef-d’œuvre, mais sans encore l’avoir véritablement trouvé. En janvier 1676, avec Atys, on retrouvera un quatuor amoureux, mais bien plus déchirant, axé autour d’un héros plus acteur de son destin, même trop, et mis en musique de manière encore plus virtuose. Et voilà qui tombe bien, le Théâtre des Champs-Elysées, qui a annoncé sa nouvelle saison hier, donnera Atys en mars 2024 avec Mathias Vidal dans le rôle-titre et Déborah Cachet en Sangaride.