Escale à Limoges pour ce Macbeth vu à Bordeaux en 2012 et depuis passé par Nancy et Toulon. Le metteur en scène Jean-Louis Martinoty étant décédé en 2016, c’est désormais Frédérique Lombard qui se charge de reprendre le spectacle, notamment à Toulouse l’an passé.
À l’instar des séries précédentes, le spectacle, qui semble n’avoir évolué qu’à la marge pour les représentations limougeaudes, laisse un sentiment mitigé. Cette interprétation ne prétend pas donner du drame une lecture foudroyante d’originalité – ce que l’on peut voir comme une humilité devenue rare. Les maîtres d’œuvre soulignent l’évidente noirceur et le caractère fantastique de Macbeth, vu comme un « huis-clos ouvert » où des miroirs entendent traduire l’enfermement psychologique des personnages. Sans doute plus personnel est le rôle accordé au génie féminin, force mystérieuse et dangereuse qui mène les hommes à leur perte. En attestent des arbres aux troncs gynoïdes autour desquels s’affairent des sorcières omniprésentes qui tendent aux protagonistes les instruments du drame (lettres, poignards, etc.) et même, durant « La luce langue », une Lady Macbeth brièvement sœur des précédentes. Dans le même esprit, d’inquiétantes poupées désarticulées inspirées de Bellmer viennent ranimer Macbeth évanoui au III – c’est pourtant lui le vrai pantin de l’histoire.
© Steve Barek
Reste que ces idées lisibles et cohérentes avec l’œuvre pâtissent d’une myriade de maladresses que les nombreuses reprises auraient dû permettre de corriger. Le spectacle manque çà et là de fluidité et l’ambiance très sombre aurait gagné à des lumières plus variées. Passons sur le traitement des sorcières en Janus bifrons, qui fait trop costume d’Halloween et n’apporte rien. Tout est montré, avec une grande naïveté, dans un premier degré qui n’a pas toujours les moyens des effets recherchés et flirte parfois avec le grotesque. Pourtant, La Nonne sanglante de Gounod présentée à l’Opéra-Comique était elle totalement réussie, avec des ambitions proches et un livret tout aussi délicat à représenter à la lettre. Cela étant, on se demande parfois si le grotesque n’est pas voulu et ne fait pas la force du spectacle : Malcom est affublé de vêtements trop amples et traîne une épée plus grande que lui, les sorcières étranglent des animaux en peluche ou jouent avec un globe terrestre gonflable… Tout cela nourrit l’impression d’un jeu dérisoire, de péripéties vaines qui ravissent des sorcières joueuses. C’est totalement conforme au nihilisme exprimé par Shakespeare dans un extrait mis en exergue avant le lever du rideau :
La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur
Qui s’agite et parade une heure, sur la scène,
Puis on ne l’entend plus. C’est un récit
Plein de bruit, de fureur, qu’un idiot raconte
Et qui n’a pas de sens.*
Macbeth devient ainsi une sombre vanité mise en musique, et la distribution est à l’unisson : le Macbeth d’André Heyboer roule de grands yeux et n’en peut mais. Son pitoyable ambitieux n’est pas d’un charisme particulier, et le baryton accuse une certaine fatigue qui ne l’empêche cependant pas d’assurer ce rôle difficile de bout en bout. On souhaiterait une ligne plus belcantiste dans « Pietà, rispetto, amore », des aigus plus mordants et davantage d’autorité dans les ensembles, mais cette figure finit pas toucher dans la scène finale où Macbeth prend conscience de l’absurdité de son parcours, d’autant que la fin abrupte de 1847 a été retenue.
La complémentarité est évidente entre ce Macbeth presque falot et sa dévorante lady. Singulier soprano qu’Alex Penda ! Il y a plus de vingt ans déjà, les Cassandre prophétisaient l’inévitable déclin d’une voix tendue au vibrato serré et aux registres hétérogènes. Pourtant, après plus de trente ans de carrière tous azimuts, d’Ophélie et la comtesse Adèle aux agilités dramatiques de Donizetti et Rossini en passant par le baroque et le classique (Mozart, Gluck, Gassmann), jusqu’à la Salomé de Strauss, Alexandrina Pendatchanska a perdu une partie de son nom mais rien de son chant vigoureux. Sur le papier, ce pourrait bien être la lady Macbeth voulue par Verdi, une voix atypique dont le chant n’a rien de poli. Pourtant, on a trop brandi l’affirmation du maestro selon laquelle l’interprète doit avoir une voix « laide » pour excuser tous les coassements dans une partition de filiation belcantiste. Incarnation de ces paradoxes, la Bulgare verse le chaud et le froid. Elle démarre par un « Vieni t’affretta » où le médium creuse un fossé béant entre des aigus fulgurants et des graves outrageusement appuyés, non sans bavures. Le somnambulisme alterne ligne tenue et effets expressionnistes. La chanteuse impose une forte présence avec une très bonne tenue vocale à l’acte II, dans « La Luce langue» et surtout un brindisi d’une maîtrise impressionnante, avant de s’offrir un suraigu durant le final. Même si on la voudrait davantage cadrée, cette lady « hénaurme » et hors normes marque beaucoup de points dans un rôle réputé impossible.
Des personnages secondaires se distingue Dario Russo, véritable basse sonore sur toute la tessiture, qui livre un beau « Comme dal ciel precipita ». Le Macduff de l’Italo-américain Marco Cammarota n’a pas la même séduction, et on lui préfère le chant sain et percutant de Kévin Amiel, qui n’a pourtant que peu d’occasions d’accrocher en Malcom. La Dama de Charlotte Despeau capte l’oreille dès le final de l’acte II, ses interventions avec le solide Medico de Fabien Leriche confirmant ensuite cette bonne impression.
Enfin, il convient de souligner l’engagement payant des chœurs de l’Opéra de Limoges, en particulier des sorcières presque constamment en scène, toujours animées et bien chantantes. Ce succès récompense les efforts impulsés par le nouveau chef de chœur, Edward Ananian-Cooper. L’orchestre maison n’est pas en reste, bien tenu et homogène sous la battue attentive de Robert Tuohy, qui veille à ne pas mettre ses chanteurs en difficulté, jusqu’à brider à l’excès l’air d’entrée de Lady Macbeth pour permettre à celle-ci d’en parcourir la ligne accidentée. La fosse balaie une large palette de nuances qui rendent justice aux différentes dimensions de l’opéra.
Finalement, avec tous ses défauts, ce spectacle est à porter au crédit de l’Opéra de Limoges, qui a osé programmer une œuvre qui pose des difficultés aux plus grandes maisons. Les applaudissements chaleureux, y compris des nombreux scolaires préparés pour l’occasion, montrent que la mission est accomplie. Rendez-vous ensuite à Reims et Massy.
* Traduction d’Yves Bonnefoy