Une clairière dans la campagne boisée ? Presque comme à Garsington. Un théâtre sous un vaste hangar tout en bois ? Presque comme à Bussang. Un côté sympathique et bon enfant ? Presque comme à Saint-Céré. Le directeur Ludwig Baumann, ancien baryton international qui s’enorgueillit d’avoir chanté notamment à l’Opéra Garnier en 1985, est omniprésent. De multiples possibilités de restauration, un public plutôt âgé mais mélangé, nous sommes à Immling. Mais ici, point de parkings démesurés, point de départs à la queue leu leu à l’issue du spectacle : organisation allemande oblige, les voitures doivent être laissées à la ville voisine de Bad Endorf, sur des parkings spécialement fléchés, et des navettes d’autocars vous mènent sur le site.
Ce festival fête cette année sa 25e saison. Outre les grandes œuvres du répertoire (à raison de deux ou trois opéras par saison, celui-ci a déjà été bien couvert), on y donne des récitals, concerts, animations pour les jeunes etc. Bref, un lieu musical, animé en grande partie par Cornelia von Kerssenbrock, cheffe d’orchestre qui gère tout son monde avec sourires et main de fer. De fait, musicalement parlant, rien à redire. Cette année, outre Butterfly est présentée La Cenerentola.
Les moyens techniques sont globalement assez frustes, et la scène, sans dégagements ni coulisses directs, est certes difficile d’usage. Les chœurs entrent le plus souvent du fond de la salle, et s’installent sur des praticables ménagés en hauteur sur les côtés. Cela ne justifie pas pour autant les choix du metteur en scène Ludwig Baumann, qui fait délibérément dans le classicisme et la simplicité. Tout se déroule conformément à la tradition, dans une totale fidélité au livret original, et Butterfly se suicide dans les règles, sans se faire hara-kiri, pratique réservée aux hommes. Avec quand même quelques touches appuyées, comme quand le prince Yamadori se présente et trouve une femme à la mode, en petite jupe 1925, fumant cigarette et buvant whisky. Le décor se résume à une petite maison aux parois de carreaux de papier qui s’ouvrent et se ferment au gré des évènements, et à des éléments projetés sur le mur du fond. Pas de cerisiers en fleurs, mais des arbres décharnés aux tons bistres, parfois environnés de brumes, et parfois aussi égayés de quelques éléments des rêves de l’héroïne, la statue de la Liberté et les gratte-ciels newyorkais.
Butterfly (Yana Kleyn) et son enfant (Lisa Linnemann) © Photo Nicole Richter
C’est en fait le plateau vocal qui crée à la fois la surprise et l’intérêt, tant il est de qualité. On découvre d’abord Yana Kleyn en Cio-Cio-San. La cantatrice russo-danoise avait été signalée dans ces colonnes par Yvan Beuvard en septembre 2017, lors de sa première prestation en France comme Mimi, au point qu’il l’avait citée en titre : « Yana Kleyn, un nom à retenir ». Malheureusement elle se fait rare en France, privilégiant les pays nordiques et germaniques, avec des choix de répertoire prudents, correspondant bien à sa voix. Celle-ci est belle et ample, la technique vocale est solide, et l’on apprécie notamment des diminuendos filés dans un souffle, « à la Caballé ». La caractérisation du personnage est totalement convaincante, de la toute jeune femme du début (son entrée est tout à fait étonnante) à la femme « américanisée », puis à la Cio-Cio-San de la fin, qui remet sa tenue de geisha. Le cheminement est sans faille, et la prestation vocale le suit parfaitement. « Sur la mer calmée » n’est plus un morceau de concours ou de récital, mais le cri déchirant d’une femme blessée qui commence enfin à percevoir son destin. Plus qu’un sans faute, une magnifique prestation où l’émotion est toujours à fleur de peau, sans aucune des minauderies que l’on a si souvent à déplorer.
À ses côtés, une seconde découverte, Jenish Ysmanov, jeune ténor kirghize, possède également tous les atouts pour réussir une brillante carrière. Le rôle de Pinkerton est particulièrement ingrat, et souvent attribué à des chanteurs de second ordre. Ici, ce n’est pas le cas, et il est surprenant de voir ce personnage, souvent falot et antipathique, prendre corps et retrouver toute son importance. Les duos du premier acte deviennent ainsi beaucoup plus intéressants, et l’on ne peut rester insensible à l’attraction réciproque des deux personnages, y compris physique, qui est ici exprimée. Mais c’est bien sûr vocalement que le personnage trouve sa véritable dimension. La voix est claire et bien projetée, la technique vocale impeccable (il chante aussi Don Ottavio), les nuances subtiles, et de plus la connivence et l’accord vocal avec sa partenaire constituent un véritable régal.
Autour d’eux, tous les personnages secondaires sont parfaitement typés, là encore selon la tradition. Ksenia Leonidova, bien chantante, campe une Suzuki qui se contente d’être le témoin à la fois navrée et consentante de tout ce qui se déroule sous ses yeux. La voix claire de Sergeij Kostov et son expressivité font un excellent Goro. Ian Burns joue – et chante – parfaitement un Sharpless complice de cette sinistre farce. Karsten Münster (Yamadori) et Benjamin Bloomfield (Il bonzo) tiennent également leur partie plus qu’honorablement.
Les chœurs sont excellents, et la partie à bouche fermée, chantée depuis le péristyle extérieur du théâtre toutes portes grandes ouvertes, et tenue à bout de bras par la cheffe d’orchestre retournée, est particulièrement impressionnante.
Quant à l’orchestre, il sonne fort bien – comme les voix – dans cette architecture de bois. La cheffe d’orchestre Cornelia von Kerssenbrock dirige d’une manière souple et rigoureuse à la fois, et l’on regrette simplement qu’elle ait tendance à privilégier les belles sonorités, notamment des vents, au détriment de certains passages vocaux qui mériteraient d’être moins écrasés.