Le rôle de Butterfly est écrasant. L’ambitus énorme du rôle, les phrases longues et délicates, doivent trouver une interprète libérée de ces rigueurs pour rendre honneur à cette geisha de quinze années, brûlante d’amour, brûlée sur le bûcher de l’égoïsme, du machisme et du colonialisme carnassier. A Naples, Svetla Vassileva, qui chante le rôle depuis de nombreuses années (à Paris en 2014 ou même tout récemment à Marseille), tente de surmonter toutes les difficultés du rôle, mais y parvient rarement. Là où d’autres interprètes abandonneraient l’idée de chanter tous les piani ou certaines des notes les plus tendues, la bulgare suit avec intégrité les exigences pucciniennes jusqu’au bord de la rupture. Les notes filées aigues se coupent dans un cri, le vibrato devient incontrôlé, la justesse et même les attaques en pâtissent. Certes, comme le remarquaient déjà nos confrères, elle est plus convaincante dans la deuxième partie, à la tessiture plus centrale. Et cette intégrité vis-à-vis de la partition va de paire avec un engagementphysique qui compense, en faible partie seulement, les lacunes évoquées.
Quand le papillon peine à voleter, on tente de s’accrocher au filet. Las, Aquiles Machado force son chant, laissant entendre un vibrato très déplaisant dès le haut-medium. Rossana Rinaldi est mise en défaut dès les premières répliques au débit précipité de Suzuki et Luca Grassi joint la parole aux actes en arrivant essoufflé en scène, comme s’il avait vraiment gravi une colline. Le Consul gagnera en prestance et en aisance ensuite. Goro, Massimiliano Chiarolla et Yamadori, Nicolo Ceriani tiennent leur rôle, le premier avec venin et le second avec noblesse. Les chœurs ne relèveront pas le niveau d’ensemble : ni les femmes en défaut de justesse sur l’entrée de Cio-Cio San, ni les hommes dont on se demande s’ils murmurent vraiment à bouche fermée depuis la coulisse.
La mise en scène de Pippo Del Bono a pour principale idée l’ajout de deux personnages : le metteur en scène qui accompagne le drame plus qu’il ne le provoque et un Arlequin. Triste et vieux, il est une sorte d’ange gardien qui viendra prendre l’enfant par la main sur les derniers accords. Dans un décor unique de murs blancs, percé de portes et de passages, l’ennui gagne vite tant la direction d’acteur est réduite à son strict minimum. Ce qui agace le plus, ce sont les déplacements anguleux des personnages, surement pour faire japonais. Ainsi que des entrées et des sorties de scène sans queue ni tête : Pinkerton fuit là scène après « addio fiorito asil » par la même porte que Butterfly cinq minutes plus tôt…
Si la direction Pinchas Steinberg propose un beau travail sur les tempi, elle ne peut s’épanouir tant la phalange napolitaine manque ce soir là de souplesse et de rondeur. Malgré les relances incessantes du chef et ses mouvements circulaires appuyés, aucun lyrisme ou rubato ne vient colorer les cordes ou satiner les vents.