Après Turandot en ouverture de l’exposition universelle et La fanciulla del West, Riccardo Chailly déroule le fil rouge de son mandat de directeur musical du Teatro alla Scala, autour d’une intégrale des œuvres de Puccini. Madama Butterfly bénéficie des honneurs de la Saint Ambroise et comme pour Fanciulla, il s’agit pour le maestro de revenir aux sources, de reprendre la version critique de la partition et le livret de la création du 17 février 1904, établie par Ricordi dans les années 1980. Cette démarche (que les héritiers et certains loggionisti n’apprécient guère) et la direction hors pair du Milanais sont les atouts maîtres de cette production. L’orchestre est transfiguré, ondule entre des textures douces ou froissées. Le maestro travaille aussi sur la spatialisation du son, tout en maintenant un discours limpide, lyrique qui fourmille de détails et de couleurs. Même si cette version est documentée depuis les années 1980, il reste toujours la sensation de redécouvrir une œuvre que l’on croyait pourtant familière et séparer les thèmes originaux de ceux ajoutés ensuite. Cette première mouture apparaît inférieure, notamment parce que le livret au deuxième acte s’éloigne de la tragédie de Butterfly (« che tua madre » devient un récit folklorique au lieu d’être la supplique d’une mère) et se perd dans des commentaires qui ralentissent l’action et réduisent l’impact émotionnel de la musique. En revanche, toute la cérémonie et les palabres de la famille de Butterfly au premier acte dessinent de belles scènes de genre qui démontrent une fois de plus l’invention mélodique et dramatique de Puccini. Mais le duo final du premier acte s’interrompt cependant que le thème de l’entrée de Butterfly, légèrement modifié par rapport à la version acceptée, est moins porteur, moins lyrique. On comprend donc les coupures et modifications opérées ensuite pour resserrer l’histoire autour du couple et fluidifier les phrases musicales.
© Teatro alla Scala
Sans compter parmi les meilleurs titulaires de leurs rôles, Maria José Siri et Bryan Hymel forment un couple assorti vocalement bien que souvent en force dans les passages les plus exposés de la première partie. Lui, sûrement plus à l’aise entre quatre murs qu’à l’air libre d’Orange l’été passé, brille surtout par son registre aigu et sa vaillance. En comparaison, le reste de son chant est bien trop nasal. La soprano uruguayenne est davantage à son affaire après l’entracte où son chant se pare de nuances et de couleurs. Est-ce la faute de ce premier livret qui la prive de subtance ? Malgré ces qualités, l’on restera froid à ce destin et ces tourments. Les seconds rôles sont de bonheur divers entre le Sharpless, pour une fois mal nommé, de Carlos Alvarez particulièrement présent de par son timbre mat et vraie figure morale ; le bonze sonore d’Abramo Rosalen et le Goro grinçant de Carlo Bosi, abonné, parce qu’y excellant, aux rôles de caractère à la Scala. Dommage qu’Annalisa Stroppa ne bénéficie pas d’un surcroît de volume pour assoir Suzuki à la place maternelle centrale qui devrait être la sienne. Enfin les choeurs milanais charment de par leur suavité, notamment pendant tout l’interlude du milieu du deuxième acte.
Il faut dire qu’aucun des interprètes n’est aidé par la direction d’acteur illisible voulue par Alvis Hermanis. On ne s’improvise pas Bob Wilson comme cela et la gestuelle robotisée tombe au mieux dans la japoniaiserie d’Epinal voire dans le ridicule. Les quelques idées de mise en scène s’avèrent finalement contre-productives : Pinkerton distribue des billets à qui mieux mieux à toute la populace japonaise, et rit de son racisme ouvert comme un enfant. Le tourisme sexuel est vaguement esquissé quand Sharpless consulte la liste des geishas disponibles. Pourtant ce premier livret radical invitait à un traitement sans concession de l’impérialisme et du racisme plutôt qu’à de simples blagues de comptoir.