A lire les louanges adressées à Madame Favart lors de son exhumation la saison dernière à l’Opéra-Comique, on peut se demander pourquoi le prétendu chef d’œuvre d’Offenbach est resté si longtemps absent de l’affiche. La reprise de cette production à Limoges, avec les mêmes interprètes, aide à comprendre « comment ça s’fit » – en référence au refrain de l’air « Ma mère aux vignes m’envoyit ». Une fois l’intérêt de la découverte éventé, l’échaudé mitonné par Offenbach apparaît « léger, léger, léger » – autre clin d’œil à un des numéros les plus réussis de la partition : la chanson de Favart au 2e acte. En prétextant la véritable histoire de Justine Duronceray, danseuse, actrice et chanteuse passée à la postérité sous le nom de Madame Favart, le livret se dilue dans une série de quiproquos qu’une intrigue chétive échoue à unifier. En 1878, année de la création de l’ouvrage aux Folies Dramatiques, la roue du succès avait tourné. Le savoir-faire demeure, les ingrédients aussi mais la mayonnaise ne prend plus. Privé de la dimension parodique qui faisait le génie des bouffonneries d’avant Sedan, la machine offenbachienne tourne à vide. La volonté évidente de séduire, motivée par le besoin d’argent et la soif de reconnaissance, entrave la créativité. Puis la composition des Contes d’Hoffmann, amorcée deux ans auparavant, accaparait trop le musicien pour que son inspiration se laisse distraire par un sujet aux enjeux moindres.
Pour ajouter encore à la difficulté, Anne Kessler a pris le parti d’une mise en scène métaphorique. Justine Favart fut à l’origine, dit-on, du costume de théâtre. Était-ce une raison suffisante pour transposer l’action dans un atelier de couture ? L’histoire, déjà alambiquée, perd en lisibilité ce qu’elle gagne en séduction visuelle.
© Steve Barek
A la tête des forces limougeaudes, Laurent Campellone utilise sa connaissance intime de la musique française pour défendre au mieux la partition. Ses propos dans le programme sur l’orchestration – mozartienne – empreinte de nostalgie dix-huitièmiste, et sur le traitement frénétique des chœurs, impliquant un travail permanent sur la variété des intentions, relèvent d’une théorie que s’emploie à illustrer la pratique.
Comme à Paris, Éric Huchet (Pontsablé) offre une démonstration éblouissante de ce que chanter Offenbach signifie en termes de style et de diction. Anne-Catherine Gillet ( Suzanne) est admirable de fraîcheur vocale et de musicalité, avec ce soprano serré à la saveur délicieusement parfumée des bonbons à la violette chers à nos grands-mères. Franck Leguerinel (Cotignac) et Lionel Peintre (Biscotin) transforment en or le peu de plomb que leur réserve la partition. Il faut attendre la deuxième partie pour que Marion Lebègue (Justine Favart) prenne la mesure d’un rôle aux multiples travestissements. Si la voix peine à se projeter, le menuet du 2e acte « je passe sur mon enfance » est nimbé de cette mélancolie qui fait Offenbach grand. Plus embarrassés nous ont semblé François Rougier (Boispréau) et Christian Helmer (Favart) dont l’émission, raide, peine à épouser les pleins et les déliés d’une écriture moins légère qu’il n’y paraît.