Deux compositeurs – ô combien dissemblables – au programme de ce concert qui marque la reprise des grandes formations conduites par Leonardo García Alarcón. Une génération sépare Colonna de Bach, mais surtout une culture musicale, culturelle et théologique foncièrement différente.
Manifestement heureux de retrouver un de ses lieux de prédilection et un public qui lui est cher, Leonardo García Alarcón introduit le concert par quelques phrases où il rappelle sa découverte des compositions de Giovanni Paolo Colonna, dont le nom et l’œuvre ont été éclipsés en France par le règne de Lully, bien que qualifié de « maître des maîtres » par Sébastien de Brossard. Artiste complet, illustrant la musique sacrée depuis San Petronio de Bologne, mais aussi la facture d’orgue comme les arts plastiques, ses œuvres liturgiques étaient justement prisées de Rome à Vienne comme les meilleures de son temps.
Totale découverte que la première de ses lamentations, pour l’Office des ténèbres, de caractère recueilli, confié à une voix soliste (Gwendoline Blondeel) à laquelle répond un chœur de voix de femmes à l’unisson, avec basse continue. La musique de chacun des versets, de caractères très variés, renouvelle le genre, de la déploration émouvante aux regrets voire aux récriminations véhémentes. Œuvre exceptionnelle dans l’abondant répertoire des lamentations ou leçons de ténèbres.
La Messe en mi mineur, révélée il y a deux ans par le chef argentin, est un chef-d’œuvre, et on peine à expliquer que de tels trésors aient pu si longtemps rester confinés dans des archives ou des bibliothèques. Colonna déploie les fastes de l’Eglise triomphante, post-tridentine, avec un art consommé. Leonardo García Alarcón défend avec conviction ces pages éloquentes. Par-delà leur caractère grandiose, somptueux, décoratif, il leur donne cette dimension émouvante que le texte de l’ordo appelle. Toutes les écritures, homophones comme contrapuntiques, sont sollicitées pour traduire le sens de chaque pièce. Jamais l’attention n’est distraite tant le propos se renouvelle. Le Quoniam, superbe, et le Cum sancto spiritu qui suit sont parmi les plus belles pages. Tout est admirable, les solistes, le chœur, comme la formation instrumentale – limitée par rapport à celle du Magnificat suivant – où les deux flûtistes-cornettistes rivalisent de virtuosité.
Si la première surprise nous vient de la découverte de Colonna, compositeur majeur de son temps, dont les œuvres puissantes et très personnelles marquent un jalon essentiel de notre histoire musicale, la seconde concerne le choix interprétatif du célébrissime Magnificat de Bach. Le chef semble appliquer les mêmes critères aux deux œuvres. Il dirige par cœur et sa gestique traduit à merveille son engagement, voire son exaltation. Mais, le Magnificat est un cantique d’action de grâce, d’essence contemplative, même si le texte comporte des versets qui appellent l’illustration puissante que Bach leur confère. Le chœur d’ouverture, pris de façon enthousiaste, animé en diable, donne le ton de l’approche que nous propose Leonardo García Alarcón. En simplifiant, les chœurs (Omnes generationem, Fecit potentiam, Sicut locutus est) sont admirables de précision, d’articulation, d’équilibre et de modelés. Le Chœur de chambre de Namur, préparé par Thibaut Lenaerts, se montre sous son meilleur jour, ductile, réactif à toutes les inflexions de la direction. Cependant, les tempi adoptés génèrent une sorte de fébrilité étrangère à la plénitude qu’induit le texte. De façon très contrastée, les numéros confiés aux solistes vocaux et instrumentaux (flûtes et hautbois) nous réservent d’excellents moments. Ainsi, le Et misericordia, où le chant ne se limite pas à celui confié à Christopher Lowrey, mais circule dans tout l’ensemble orchestral. Aucun des solistes ne démérite. Les pizzicati de l’Esurientes, très accentués dérangent nos habitudes, mais, pourquoi pas ? Bien que judicieusement placés devant l’orchestre, les bois sont quelque peu étouffés par les cordes, abondantes. Mais ne boudons pas notre plaisir : puissent tous les Magnificat connaître ce niveau exceptionnel d’interprétation !
Les acclamations soutenues d’un nombreux public, visiblement conquis, appellent la reprise du début du Magnificat. Ce concert d’exception restera dans les mémoires, n’en doutons pas. Le lendemain, c’est la Chapelle royale du Château de Versailles qui accueille les mêmes artistes dans le même programme.